Une sanitarisation du pénal ? La mobilisation de la maladie dans des procès pénaux Lara MAHI Résumé. Cet article interroge l'intégration d'une approche sanitaire dans les décisions judiciaires à travers l'analyse des procédés par lesquels justiciables, magistrats et avocats mobilisent des événements de santé au cours de procès pénaux. À partir d'observations conduites pendant un an dans les trois sections d'une chambre de comparution immédiate et de la constitution d'une base de données issue de ces observations (n = 290), nous montrons que la maladie est un registre d'exploration pour les magistrats qui, poursuivant une logique d'individualisation de la peine, incitent les justiciables à révéler un « problème de santé ». Ceux qui révèlent être malades sont ensuite systématiquement questionnés sur leur engagement dans une prise en charge médicale. Les analyses de régression font apparaître que cette dernière détermine fortement la sanction pénale. Les justiciables engagés dans une démarche de soins sont « protégés » de la prison tandis que ceux qui ne se soignent pas y sont plus souvent directement conduits à l'issue de leur procès. Ces résultats et l'analyse des procédés argumentatifs par lesquels ces « problèmes de santé » sont mobilisés au cours des débats d'audience mettent en évidence les attentes à partir desquelles les juges construisent leurs décisions, qui prennent la forme de trois impératifs normatifs pesant sur l'ensemble des justiciables et conduisant à une surincarcération des plus désaffiliés d'entre eux, parmi lesquels les malades qui ne se soignent pas. Mots-clés. JUSTICE PÉNALE-SANTÉ-SENTENCING-INDIVIDUALISATION DE LA PEINE-IMPÉRATIFS NORMATIFS Novembre 2010, Palais de justice de Paris. Dans la chambre correctionnelle dédiée aux comparutions immédiates, un homme se tient cramponné à la balustrade du box des accusés. Il ne quitte pas des yeux les trois juges qui lui font face. Célibataire, âgé de 46 ans et ayant pour seules ressources le revenu de solidarité active, il est accusé d'un vol aggravé par deux circonstances : l'usage de la violence (n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail) et l'état de récidive légale. Le juge présidant l'audience reprend à voix haute les qualifications pénales de la quinzaine de condamnations que compte son casier judiciaire, puis il résume les faits qui lui sont reprochés. Ces derniers se sont déroulés la veille ; un étudiant de 25 ans marchait dans une rue de Paris, la sacoche de son ordinateur à la main, lorsqu'un homme surgit devant lui, le projeta au sol et lui arracha sa sacoche des mains. L'homme fut pris en flagrant délit et l'ordinateur et la sacoche furent restitués à l'étudiant. Cette recherche a bénéficié du soutien de Sidaction et du Fonds de dotation Pierre Bergé. Nous tenons à remercier Frédérique Leblanc pour ses commentaires sur la première version de cet article, ainsi que Baptiste Brossard, Philippe Combessie et les relecteurs anonymes de la RFS. 1. Plusieurs prévenus peuvent être jugés, pour une même affaire, au cours d'un procès. Par ...
International audienceCet article met en avant trois raisons qui limitent l'émergence d'un \guillemotleft~patient contemporain~\guillemotright dans les unités sanitaires en milieu carcéral~: les détenus/patients ne prennent pas rendez-vous avec un soignant mais sont convoqués, certains documents et informations leur sont dissimulés et ils ne peuvent compter que sur un faible soutien social pour construire leur rapport à la maladie. Néanmoins, cette organisation contraignante et déresponsabilisante ne produit que rarement un éloignement des services médicaux. Au contraire, la plupart des personnes détenues et malades rencontrées se saisissent de leur incarcération pour s'investir dans une prise en charge. Cet article montre que l'implication personnelle des détenus n'est pas nécessairement motivée par la recherche de soins mais parfois davantage par la volonté de s'intégrer dans ce que Goffman appelle un "système de privilèges"
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