Au fil des corps, apprendre de l’expérience. Parcours d’une infirmière sociologue

Abstract

Dans ce texte, l’autrice reprend des éléments de sa trajectoire de sociologue et d’infirmière en mettant en évidence la matérialité des corps malades et souillés dont les femmes des familles et les soignantes professionnelles ont la charge. Sans esquive, elle montre que ce face-à-face des corps, indispensable pour celui ou celle qui nécessite de l’aide, est difficile et souvent ignoré.

De la pudeur dans les soins

“…Dans les soins, outre le moment de l'examen clinique, le temps de la toilette est un moment propice à cette intrusion, dans le corps comme dans la vie de la personne. En effet, tel que nous l'expliquait Annick Anchisi (10) en se rappelant les toilettes qu'elle a effectuées au cours de sa carrière d'infirmière, laver une personne exige une intrusion considérable dans son intimité, puisqu'il faut que la soignante ait accès à et manipule l'entièreté du corps nu de la personne soignée, y compris ses parties génitales. L'accompagnement des personnes dépendantes pour faire leurs besoins est une autre intervention délicate et même violente, par exemple lorsqu'une intervention manuelle est nécessaire pour faire sortir les selles de l'individu soigné s'il n'en a plus le réflexe (10).…”

“…En effet, tel que nous l'expliquait Annick Anchisi (10) en se rappelant les toilettes qu'elle a effectuées au cours de sa carrière d'infirmière, laver une personne exige une intrusion considérable dans son intimité, puisqu'il faut que la soignante ait accès à et manipule l'entièreté du corps nu de la personne soignée, y compris ses parties génitales. L'accompagnement des personnes dépendantes pour faire leurs besoins est une autre intervention délicate et même violente, par exemple lorsqu'une intervention manuelle est nécessaire pour faire sortir les selles de l'individu soigné s'il n'en a plus le réflexe (10). Toute intrusion peut provoquer de la honte, voire être vécue comme une violence considérable par le patient, même si la personne soignée, avec le temps, finit par s'y résigner.…”

“…C'est ce qui peut survenir lorsque les soignantes sont confrontées à de la souillure, notamment à l'incontinence d'autrui, à des plaies purulentes, des corps nécrosés ou décharnés (10). Dans un tel cas, la soignante doit maîtriser l'expression de son visage et les gestes qu'elle adopte pour éviter d'exprimer le dégoût qu'elle ressent, qui pourraient choquer la pudeur de la personne soignée en le réduisant à sa vulnérabilité.…”

“…Les vertus sont les dispositions que les agents moraux auront à développer pour pouvoir atteindre cet objectif fondamental par leurs actions. On peut préciser cette idée, en reprenant la définition aristotélicienne de la vertu -comme le font plusieurs bioéthiciens contemporains 9 -comme « disposition à agir de façon délibérée, consistant en une médiété relative à nous, laquelle est rationnellement déterminée » (44, p.50) 10 . D'abord, en tant que disposition, la vertu de pudeur influencerait de manière constante la soignante qui la pratique, guiderait en permanence son jugement et ses actions face aux situations pudiques.…”

“…Elles appréhendent aussi de faire preuve de maladresse et de blesser ceux et celles qu'elles soignent, et expriment leur gêne face à ces corps nus d'adultes (qui rendent la toilette d'une personne âgée plus pénible que celle d'un enfant). La hiérarchie organisant le milieu des soins fait en outre souvent en sorte que les soins délicats, à l'instar des soins d'hygiène, sont régulièrement délégués aux novices ou aux soignantes ayant reçu une moins longue formation et situés au bas de l'échelle (les aides-soignantes en France, les préposées aux bénéficiaires au Québec) (9,10). Cette tendance peut aggraver chez les soignantes l'impression d'être dépourvues dans les situations impudiques.…”