Devenir parent en sortant de l’Aide sociale à l’enfance. L’enchaînement des étapes du passage à l’âge adulte

Abstract

À partir de l’enquête ELAP (Étude longitudinale sur l’accès à l’autonomie après le placement) et d’entretiens qualitatifs menés avec des jeunes adultes, cet article analyse les trajectoires menant à la parentalité chez les jeunes sortants de l’Aide sociale à l’enfance. Comment cette transition s’inscrit-elle dans l’enchaînement des étapes du passage à l’âge adulte ? L’analyse du discours des jeunes montre que l’insertion sur le marché du travail et la construction d’une famille peuvent être considérées comme deux normes d’intégration différemment accessibles et hiérarchisées. Certain·e·s considèrent que l’intégration professionnelle doit être première alors que d’autres construisent une famille rapidement, cette dernière étant parfois perçue comme un point de départ dans la vie adulte. Ces différentes trajectoires sont à relier aux histoires personnelles mais aussi aux propriétés sociales et démographiques des enquêté·e·s. Ainsi, les filles sont plus nombreuses à connaître des transitions précoces à la parentalité. Cela a des effets déterminants sur les parcours : les jeunes suivant des formations pour s’insérer rapidement professionnellement sont davantage épaulé·e·s par les institutions, alors que celles et ceux qui deviennent parents perdent plus vite cet appui. L’entrée précoce en parentalité peut alors constituer un facteur de précarité quand l’insertion professionnelle n’est pas réalisée et qu’aucune solution de logement autonome n’a été trouvée.

Quand les filles réussissent moins bien à l’école que les garçons. Le cas des enfants placés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) en France

“…Ces orientations qui assignent à la sphère privée viennent alors conforter les attributs de la bonne mère de famille pour les jeunes femmes dont l'entrée dans la vie adulte se fait par la voie matrimoniale (Frechon 2005, Ganne et al 2019. Alice diplômée d'un CAP Maintenance, hygiène des locaux tient ainsi parfaitement le rôle de la bonne ménagère auprès de son conjoint, "ce CAP c'est faire le ménage !…”

Avant-propos

“…Les injonctions à être de bons parents, véhiculées sur un mode individualisant, pèsent en effet nettement plus sur les femmes et déterminent leur inclination à développer des compétences parentales. En miroir des exigences de disponibilité maternelle, le soupçon d'une maternité incomplète ou défaillante n'est jamais bien loin, même s'il recouvre des représentations et pratiques différenciées selon le sexe, la catégorisation ethno-raciale, la classe, mais aussi l'âge (Löwy, 2009 ;Vialle, 2018), les situations de handicap (Eideliman, 2010 ;Doé, 2019), la sexualité (Frémont, 2018 ;Meslay, 2021) et les parcours plus ou moins heurtés dans l'enfance (Ganne et al, 2019). Comment cette logique genrée de responsabilisation des parents agit-elle sur l'identité maternelle et les pratiques une fois que l'enfant est là ?…”

Une enfance sous contrôle institutionnel

“…Au-delà de la volonté de travailler pour subvenir à ses besoins, cela implique un rapport particulier aux aides sociales. (Ganne et al, 2019).…”

“…« Quand on n'a rien, on se bat », dit-il.Alors qu'il était en FJT, il a fait une demande de logement social et l'a rapidement obtenu.Dans la continuité de cette attitude prévoyante, ces jeunes ont aussi pour particularité d'avoir repoussé la mise en couple et la constitution d'une famille, préférant attendre d'être installés sur le plan professionnel et résidentiel. Ils respectent donc l'enchaînement des étapes préconisé par l'ASE, qui consiste à favoriser l'obtention d'un emploi avant la mise en couple(Ganne et al, 2019).Sans surprise, ces jeunes intègrent le marché du travail de façon précoce. Les enquêtés disposant d'un diplôme professionnel et ceux qui ne vivent pas en couple sont les plus nombreux à exercer un emploi (ibid.).…”

“…Ne le supportant plus, il est parti deux mois avant la fin du CJM afin d'échapper au contrôle institutionnel. Cette aspiration peut amener à des sorties précoces de l'institution pour retourner chez la famille ou pour se mettre en couple(Ganne et al, 2019). D'autre part, leur attitude réfractaire à l'accompagnement institutionnel les conduit à être exclus des dispositifs d'aide.…”