Comprendre la rupture des matériaux n'est pas une mince affaire ! Lorsqu'une fissure commence à apparaître, on peut en effet montrer qu'elle concentre les forces à sa pointe. C'est donc au voisinage de ce point, sur une zone d'extension très petite, que les processus physicochimiques de rupture et d'endommagement sont activés. Ceux-ci dépendent crucialement de la structure du matériau à des échelles très petites. Les théories classiques rendent compte de ces mécanismes à travers des lois de comportement phénoménologiques, et distinguent les modes de rupture « fragilesEt pourtant, qu'on analyse la surface rugueuse qui résulte de la rupture d'un acier ou celle, parfaitement lisse « à l'oeil », d'un verre (on parle de « zone miroir » !), on observe les mêmes caractéristiques [3]. Bien entendu, il faut utiliser la bonne loupe pour s'en rendre compte, et grossir mille fois plus la surface du verre que celle du métal. Si, dans ce dernier cas, l'instrument le plus adapté est un microscope à balayage, la surface de rupture du verre, en revanche, ne pourra être explorée qu'avec un microscope à force atomique capable de détecter des dénivellations de l'ordre de l'angström (0,1 nm) sur une surface de quelques nanomètres carrés.Nous avons montré récemment que la similitude entre rupture du verre et rupture du métal ne s'arrêtait pas là, et que, contrairement à ce qu'implique la classification classique, la ductilité (ou la fragilité) pourrait bien n'être qu'une question d'échelle.
Dispositif expérimentalNos expériences ont consisté à suivre, avec un Microscope à Force Atomique (« AFM », voir encadré 2), la pointe d'une fissure au cours de sa propagation dans du verre. Pour qu'on arrive à la suivre, la fissure doit aller très lentement.
Les différents modes de ruptureLa manière dont une fissure concentre les forces en sa pointe est à l'heure actuelle bien comprise. Il existe en particulier un cadre théorique unifié, la Mécanique Élastique Linéaire de la Rupture (MELR), qui permet d'évaluer le flux d'énergie mécanique en pointe de fissure dans n'importe quelle géométrie. La manière dont la fissure s'étend en réponse à ce flux est, en revanche, beaucoup plus mystérieuse. On distingue :Le mode de rupture dit fragile. Le front de fissure se propage par ruptures successives des liaisons chimiques en sa pointe, là où se trouvent les tensions les plus importantes. Ce mode de rupture s'observe en particulier dans des matériaux très homogènes et décrit, par exemple, le clivage d'un cristal parfait, ou -comme on le pensait jusqu'ici -la rupture du verre. La résistance à la rupture du matériau est prédite par le critère de Griffith : l'énergie mécanique concentrée en tête de fissure sert uniquement à créer deux nouvelles surfaces. Dans ce cas idéal, il n'y a aucune dissipation et la pointe de la fissure reste atomiquement fine. On conserve jusqu'à la rupture (voir courbe contrainte/déformation ci-dessous) une relation linéaire entre contrainte et déformation.Le mode de rupture dit ductile. Dans ce cas, au contraire, la majeure partie ...