Au début de l'année 1968, une grande vague révolutionnaire, venue du Tiers Monde, semble sur le point de déferler sur les positions figées de la guerre froide : le Viet-Cong lance l'offensive du Têt, mettant l'armée du régime de Saigon et son allié américain en difficulté au Vietnam ; une nouvelle figure de guerrier révolutionnaire -le fedayinémerge au Proche-Orient ; des mouvements de guérilla s'organisent avec le soutien de Cuba en Amérique du Sud et en Afrique ; la contestation étudiante agite les campus, tandis que la colère gronde chez les exclus de la croissance économique aussi bien en Europe occidentale qu'en Amérique du Nord 1 . C'est dans ce contexte international troublé, potentiellement annonciateur de changements politiques de grande ampleur que, les 23 et 24 mars 1968, plusieurs organisations ou revues chrétiennes de gauche -Christianisme social, la Cimade, la Commission des Religions de la Société africaine de culture, Croissance des Jeunes Nations, Économie et Humanisme, La Lettre, Frères du Monde, l'IDOC (International Documentation on the Contemporary Church), les Groupes Témoignage chrétien, Terre entière -organisent un colloque à Paris sur le thème « Christianisme et révolution ». La plupart des grandes figures intellectuelles du tiersmondisme et du marxisme chrétien en France se succèdent à la tribune : les dominicains François Biot, Paul Blanquart et Jean Cardonnel, les pasteurs Jacques Lochard et Georges Casalis, ou encore le franciscain Olivier Maillard 2 . Les actes sont publiés quelques mois plus tard dans un hors-série de La Lettre, une revue animée par des chrétiens marxistes, sous la direction des deux principaux maîtres d'oeuvre de la rencontre, l'Argentin Julio Neffa et le Brésilien Jalles Costa 3 . Dans leur introduction, Une lecture chrétienne de Che Guevara ? Michel de Certeau et l'éthique de la ...