L'évolution actuelle de la médecine moderne vers une médecine des « 4P », c'est-à-dire personnalisée, pré-ventive, plurielle (pluri-experte) et prédictive, passe par la mise en place d'un référentiel commun, à la fois référentiel temporel, mettant en correspondance le chronos des instruments d'observation, le kairos du temps biologique du malade et l'aion de la réflexion médicale (aion ou dasein, temps immanent, substrat de la psyché d'Aristote), mais également référentiel systémique, décrivant les différents systèmes impliqués dans une pathologie, dans la dynamique de leurs interactions, et enfin référentiel cognitif, inscrivant les différents savoirs médicaux (savoir encyclopédique d'une université médicale virtuelle, savoir statistique de bases de données patients et savoir expert de spé-cialistes) dans un même gisement, distribué et partagé, de connaissances en santé. Ce défi (harmoniser temps, systèmes et savoirs), la médecine moderne doit le relever, et munie de ce référentiel commun, elle pourra satisfaisaire à la fois les exigences d'atteinte du bien-être individuel de Panacea et du bon état sanitaire collectif d'Hygeia, les deux déesses grecques de la santé. Nous donnerons, dans la suite, des exemples qui s'inscrivent dans le paradigme des systèmes dynamiques complexes, cumulant les difficultés liées aux changements d'échelle et de temps, mais permettant d'interpréter, dans une méthodologie dite « biologie des systèmes », les comportements émergents de la morphogenèse physiologique dont la connaissance des mécanismes est indispensable à la compréhension de la dysgenèse pathologique.
La temporalité de l'observation médicaleLa temporalité de l'observation médicale est essentiellement liée à la perception différentielle du temps par le patient et par le thérapeute. Le temps est en effet figé dans la médecine classique hippocratique qui observe le patient à travers le filtre du chronos (temps régulier d'une chronique). Hippocrate de Chios (460-370 av. J.-C.) fonda une école médicale à Epidaure (Figure 1) et remarqua qu'une maladie ne se déclarait pas brusquement, mais passait par différentes phases, aboutissant à une période dangereuse : la « crise ». Il nota que, dans l'évo-lution des maladies, surtout celles associées à une fièvre, les quatrième, onzième, quatorzième et vingtième jours étaient des jours particulièrement à risque de « crise ». Hérophile d'Alexandrie (331-250 av. J.-C.), éduqué par Praxagoras à Cos, a introduit le premier une notion du temps non chronologique, celle du kairos (temps opportun où un patient délivre un symptôme et consulte, et où un médecin l'observe), lié aux perceptions qu'a le malade de sa propre maladie et à la succession des sympômes qui en découle. Il travailla à Alexandrie sous Ptolémée I Soter (323-283) et Ptolémée II Philadelphe (283-246) et fut le premier à prendre conscience de la pulsation artérielle > Nous proposons, dans cet article, des exemples d'applications médicales de la biologie des systèmes, en rappelant d'abord la problématique temporelle de l'observatio...