Georges Macaire EyengaLes nouveaux yeux de l'État ? L'introduction de la télésurveillance dans l'espace public à Yaoundé* Depuis le xx e siècle, la volonté de surveiller l'espace public constitue une hantise des ordres colonial et postcolonial au Cameroun (Mbembe 1996). Cette volonté se révèle dans la construction des premières prisons (Bernault 1999 ; Dia 2012) et la conversion des individus en sujets colonisés (Sa'di 2012). Si durant la colonisation, les individus ont été identifiés et enrôlés dans l'éco nomie coloniale (Mbembe 2007), on constate qu'après les Indépendances (1960), l'impératif de contrôle du nouvel ordre politique trouve sa caution idéologique dans un projet de construction hégémonique de l'État (Bayart 1985). Depuis lors, la bureaucratisation policière et le quadrillage territorial connaissent une accélération sans précédent. Auréolé de la souveraineté territoriale que lui confère le droit international (Fleury Graff 2015), le Cameroun active ses mécanismes d'ordre dans un contexte où subsistent sur son territoire le grand banditisme et une vive contestation politique (Deltombe et al. 2011). Ce maintien de l'ordre désigne l'activité policière de gestion des incivilités et des illégalismes populaires (Fillieule 2006 ; Morelle 2015) telle que prévue par la loi n° 90-54 du 19 décembre 1990 fixant les principes d'action à observer par les Forces de maintien de l'ordre (fmo) en vue de préserver ou de rétablir l'ordre public. Si l'activité de maintien de l'ordre a été classique de 1960 jusqu'à nos jours (Ngufor Forkum 2019), elle connaît désormais une redynamisation liée à l'irruption, au tournant de l'an 2000, des technologies digitales (Kenfack Nanfack 2019). Parmi celles-ci, figure la télésurveillance, un « dispositif sociotechnique » qui permet de surveiller à distance un espace à l'aide de caméras connectées à des ordinateurs (November et al. 2002) tout *. Je remercie les évaluateurs anonymes qui m'ont permis d'enrichir ce texte, ainsi que Nadège Chabloz (pour l'équipe de rédaction) qui a effectué un travail remarquable pour cette publication. Je remercie aussi mes collègues Gaétan Omgba, Éric Lekini et Auxence Koa pour nos échanges à ce sujet à l'URPOSSOC.