Cette thèse de doctorat porte sur les pratiques d’intervention et les modalités d’accompagnement déployées par des praticiens de la relation d’aide chargés de répondre à la mission compromise de « rendre capables » des jeunes souffrant de troubles mentaux. Élaborée principalement à partir de données qualitatives issues d’entretiens réalisés avec une cinquantaine de professionnels du champ de l’insertion et du soin en Suisse et au Québec, cette étude sociologique compréhensive montre, par un montage constitué via une démarche comparative continue, comment ces praticiens rencontrent ce que nous nommons des embarras professionnels. Ces embarras se concentrent autour de trois lieux communs émergeant des terrains enquêtés : dans la relation avec les jeunes, dans les manières de les catégoriser et aux frontières, interinstitutionnelles d’une part, et interprofessionnelles d’autre part. La mise en relief des différents embarras professionnels dégagés de l’analyse instruit les principaux défis pragmatiques rencontrés par les praticiens. Ces défis du quotidien mettent non seulement en jeu leur professionnalité mais viennent aussi questionner le sens et la finalité donnés à leur métier. Bien plus que de ponctuels ou d’exceptionnels difficultés d’agir, la thèse soutient que les embarras professionnels font partie intégrante de l’activité professionnelle de ces différents acteurs de l’insertion dans le contexte contemporain. Plus que cela encore, ils sont constitutifs de leurs métiers. En conséquence, dans la thèse, il est défendu l’idée selon laquelle les praticiens usent de tactiques, de manières de faire implicites, de tours de main qui s’inscrivent dans ce que nous appréhendons comme un paradigme interventionnel de l’entre-deux pour tenter, tant bien que mal, de composer avec les embarras rencontrés et de répondre au mandat prescrit. L’usage de la prudence en se gardant d’entretenir une certaine ouverture des possibles visant, en outre, à éviter les échecs et les ruptures relationnelles, la convocation de pratiques ingénieuses au service d’un travail permanent de négociation avec de multiples interlocuteurs et un phénomène de redistribution des savoirs et des responsabilités entre l’ensemble des acteurs impliqués dans les suivis des jeunes forment les trois axes/ressources qui composent ce paradigme interventionnel de l’entre-deux. Considérant avec sérieux ces modalités intermédiaires et fluctuantes d’agir, cet écrit doctoral propose, finalement, en important la notion anthropologique de liminalité dans le champ de l’intervention sociale, la conceptualisation d’un agir liminal que la divinité marine, Protée, qui change constamment d’apparence, personnifie entièrement. Cette pratique donne à penser certaines propriétés de l’exercice du travail social dans le contexte contemporain et invite, par ailleurs, à ouvrir la réflexion sur le sort réservé aux jeunes accompagnés.