RésuméLe tournage d'un film est caractérisé par la discontinuité des étapes de fabrication et la survenue de nombreux aléas, ainsi que par un foisonnement d'initiatives non programmées et l'émergence de controverses liées au tâtonnement créatif. C'est à la scripte qu'incombe la tâche de veiller à la « continuité du film », dont dépend la qualité du montage et la vraisemblance de ce qui sera projeté sur l'écran. Une intense activité scripturale lui incombe alors pour garder en mémoire les étapes de fabrication. Ces écrits sont la trace « utile » d'une activité complexe qui prend tout son sens dans le dense mais discret travail relationnel prolongeant l'activité scripturale. Nous montrerons en quoi, dans une organisation fragile comme celle du cinéma, la coopération au travail peut être pensée comme une activité métrologique d'ajustement participant à l'oeuvre de création.Mots clés : Organisation par projet ; Ajustement ; Cinéma ; Écrits ; Erreur ; Travail concret
AbstractThe act of shooting a film is characterised by discontinuity in the production stages and numerous unpre-dictable events, as well as a host of unscheduled initiatives and the emergence of disputes arising from creative experiment. It is the task of the script supervisor to maintain the "film continuity", which governs the quality of the editing and the plausibility of the final screen product. This demands intense scripting activity to maintain a record of the production stages. These writings are the "effective" trace of a complex activity that achieves its full meaning in the dense but discreet relational work arising out of the scripting process. We will show how, in a fragile organization such as cinema, cooperation in work can be perceived as a metrological activity of adjustment that contributes to the creative process. Buchanan (1951) selon lequel la parcellisation toucherait, fait nouveau, le travail intellectuel et artistique, ils font l'hypothèse que la production cinématogra-phique n'échapperait pas à l'organisation du travail parcellisé dont G. Friedmann (1950) dénonçait déjà les effets délétères 1 . Ils évoquent cependant les limites d'une analyse qui rabattrait l'industrie du cinéma sur le modèle de l'industrie de série, telle l'automobile. Parce que la fabrication d'un film n'exige pas une immobilisation importante de capital, des formes d'organisation artisanales se développeraient tandis que les risques économiques inhérents à cette activité stimuleraient les partis pris créatifs audacieux susceptibles de séduire le public. Toutefois, à l'époque, les analyses de réception ont dominé les recherches en filmologie tandis que les sociologues du travail et des organisations privilégiaient l'étude des grandes bureaucraties industrielles ou administratives.Il faut attendre les années 1980 pour voir apparaître en France les prémices d'une sociologie du travail cinématographique avec les travaux de Yann Darré (1986) consacrés au cinéma d'auteur. L'intérêt pour l'organisation productive du cinéma est plus affirmé du coté des recherches a...