L'accueil en crise : pratiques discursives et actions politiques * La situation résultant des déplacements de population provoqués depuis 2014-2015 par la guerre civile syrienne et, plus largement, de l'ensemble des flux migratoires vers l'Europe, a souvent été décrite dans les pays d'accueil comme une crise. Le lien entre migration et crise est tel que la plupart des études consacrées aux migrations comportent désormais une mise en garde préalable sur le terme de crise ou sur l'expression crise migratoire, rappelant que le cadrage n'est pas neutre et qu'il convient dès lors de le mettre à distance. De fait, ce mot produit une grille de lecture à la fois orientée et contestée. Issu du vocabulaire médical, il implique d'une part une période intense qui représente une rupture dans le cours « normal » des choses (elle a toujours quelque chose de « pathologique »), mais suppose à la fois une résolution, une « sortie de crise » qui appelle des solutions (Veniard, 2013). À cet égard, on peut se demander si ce qu'on désigne par crise migratoire, même en mettant cet usage à distance, est une crise comme une autre, au sens où elle actualiserait les mêmes significations, selon une structure sémantique identique.L'usage du mot a été très tôt remis en cause par les acteurs mobilisés dans l'accueil des personnes déplacées, dont les prises de position ont été relayées par certains journalistes. Des chercheurs en sciences sociales ont également questionné la nature inédite des événements au regard de la longue histoire des migrations de et vers l'Europe (Diaz, 2021). La façon dont ce cadrage s'est imposé et les effets sociopolitiques qu'il produit ne sont encore que partiellement connus. À la suite des nombreux travaux qui se sont attachés à décrire les mots des migrations (Collectif, 1997), en particulier leur médiatisation