La distinction entre soi et l'autre est l'une des composantes de la conscience de soi. Pouvoir déterminer si nous sommes bien l'auteur de nos actions ou de nos pensées, ou au contraire pouvoir attribuer à autrui la propriété d'un mouvement ou d'un état d'esprit, sont des fonctions essentielles pour la construction du moi. Même si, chez l'adulte, cette distinction entre soi et autrui s'opère sans difficulté, elle peut devenir problématique dans des circonstances pathologiques. Nous envisagerons ici un exemple caractéristique de fausse attribution, celui qui s'observe chez certains patients schizophréniques. La schizophrénie se présente sous la forme d'un ensemble très riche de symptômes groupés, selon les auteurs, autour de tableaux cliniques plus ou moins bien différenciés. Une distinction classique est celle qui sépare les symptômes « négatifs » (immobilité, passivité, perte du contact, indifférence affective) et les symptômes « positifs » tels que les hallucinations, les pensées imposées (automatisme mental) ou le délire d'influence. Des échelles permettent de quantifier l'intensité de ces symptômes [1, 2]. Schneider [3] considérait les symptômes positifs comme des symptômes « de premier rang », indispensables au diagnostic de la maladie. Ces symptômes, pensait-il, traduisent la rupture d'un mécanisme normal qui permet de tracer la frontière entre soi et les autres: les patients interprètent leurs pensées et leurs actions comme dues à des forces étran-gères ou à l'influence d'autres personnes qui exercent leur contrôle sur eux. Cette description fait écho à celle de Janet [4], qui distinguait chez les patients schizophrènes deux types de troubles de l'attribution. Chaque individu posséderait ainsi en lui une représentation de ses propres actions et de ses propres pensées, et une représentation des actions et des pensées de l'autre: les fausses attributions résulteraient d'un déséquilibre entre ces deux représentations. D'un côté, le défaut d'appropriation provoquerait une tendance à projeter sa propre expérience sur des événements ou des personnes extérieures: c'est le cas des hallucinations auditives au cours desquelles le patient entend des voix qui lui parviennent de l'extérieur, mais qui correspondent en fait à son propre langage intérieur, parfois enregistré sous la forme de minimes contractions de la musculature laryngée [5]. D'un autre côté, l'excès d'appropriation provoquerait une tendance du patient à s'attribuer à lui-même des actions exécutées par d'autres et à croire que ses propres actions peuvent influencer le cours des événements exté-rieurs: c'est la mégalomanie. Ces symptômes de premier rang de la schizophrénie, que nous qualifierons par la suite de symptômes « schneideriens », sont maintenant au centre d'un vaste courant de recherche où interagissent, au-delà de la description clinique, les spé-cialistes des sciences cognitives et ceux de la neuro-imagerie, et qui vise à identifier chez ce type de patients un trouble spécifique d'un mécanisme de reconnaissance de l'action. Il est cependant ut...