Rédacteur en chef
« Le néologisme, c'est la langue qui fait ses besoins » Frédéric DardLa carcinogenèse n'avait presque plus de secrets. Avec la confirmation de la théorie clonale -hypothèse émise dans les années 50 et brillamment exposée par Nowell en 1976 dans un article [10] qui fait toujours référence -et la découverte des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeur, on pensait être proche du but et avoir presque tout compris. Le cancer était considéré comme une maladie multigénique, résultant de l'altération de 10 à 20 gènes. Ces altérations se font par étapes successives et 4 à 7 mutations ou événements stochastiques seraient nécessaires pour arriver à la cellule cancéreuse. Chaque étape donne naissance à des cellules ayant acquis un avantage sélectif (terme emprunté à la théorie de l'évolution) et l'une d'entre elles passe à l'étape suivante. La transformation maligne est donc un processus dynamique qui, à chaque étape, sélectionne une cellule ayant subi une ou plusieurs altérations. Ce processus aboutit à la formation d'une cellule cancéreuse, c'est-à-dire d'une cellule qui a acquis au moins 6 propriétés qui toutes favorisent la croissance tumorale [4] : indépendance vis-à-vis des signaux stimulant la croissance, insensibilité aux signaux inhibant la croissance, disparition du processus de mort cellulaire programmée (apoptose), potentiel illimité de prolifération, stimulation de l'angiogenèse et pouvoir d'invasion des tissus et de donner des métastases. La carcinogenèse serait donc un processus gradualiste et quelques auteurs n'ont pas hésité à établir un paralléle avec la théorie de l'évolution de Darwin [4,12], certains allant même jusqu'à comparer la carcinogenèse à une spéciation [2].Devant ces progrès, nous étions arrivés à un tel état de quiétude intellectuelle que nous avions presque oublié que les cancers ne résultent probablement pas toujours d'une succession de mutations intervenant sur une période allant de 5 à 20 ans. En janvier 2011, brutal retour à la réalité. Dans un éditorial bien documenté [9] pour préparer le lecteur à une découverte qui bouscule la conception quasi dogmatique de la carcinogenèse, on nous annonce un cataclysme en carcinologie : le cancer pourrait dans certains cas résulter de la pulvérisation cataclysmique d'un chromosome [11]. Dans ce nouveau processus de carcinogenèse, on observe des dizaines ou des centaines de réarrangements intéressant uniquement une région chromosomique étroite, et non pas l'ensemble du génome, comme s'il y avait eu une fragmentation de la région suivie d'une reconstitution aléatoire donc aberrante. La grande majorité de ces réarrangements semble se produire lors d'un événement unique car le nombre de copies des fragments n'excède pas 2 ou 3 dans le chromosome remanié. Ce processus a été retrouvé dans 2 à 3 % des cancers et dans 25 % des tumeurs osseuses étudiés. De nombreuses questions persistent, en particulier la cause et la chronologie de ce cataclysme restent inconnues. Les auteurs rapprochent ce phénomène des changements rapides décrits da...