Il y a bien longtemps que le motif roman de la femme allaitant des serpents a été associé à la luxure. Dans les années 1840, Arcisse de Caumont proposait déjà de l'interpréter dans ce sens : M. De Caumont a rappelé les opinions qui ont été émises sur les significations d'une sculpture qu'on trouve parfois sur les portails ou les chapiteaux des églises romanes. Je veux parler de la femme, vêtue ou non, dont les seins sont sucés ou dévorés par des reptiles, le plus souvent par des serpents. D'après le sentiment généralement adopté depuis quelques années, cette représentation est celle de la Luxure, et l'on peut désormais, je crois, regarder cette interprétation comme parfaitement démontrée 1. Dans son traité d'iconographie publié en 1848, l'abbé Crosnier abondait dans ce sens : « la femme aux reptiles est (…) la personnification de la luxure ; c'est un type généralement admis au XII e siècle, et qu'on rencontre dans les différentes régions architectoniques 2 ». En 1922, dans sa grande synthèse sur l'art religieux du XII e siècle, Émile Mâle entérinera définitivement cette interprétation : On voit au portail de Moissac, la femme déchue : elle est nue, décharnée ; deux serpents se suspendent à ses seins, un crapaud dévore son sexe. Jamais la tentatrice ne fut plus rudement flagellée. c'est la punition de la luxure en Enfer, car un démon préside au supplice de la femme 3. Par la suite, cette interprétation ne sera plus remise en question. Pour Marcello Angheben, par exemple, il est « patent que ces femmes aux seins mordus représentent la luxure 4 ». Pour Eukenia Martinez de Lagos, l'iconographie de la femme aux serpents, La femme allaitant des serpents et ses liens avec la Luxure Bulletin du centre d'études médiévales d'Auxerre | BUCEMA, 23.2 | 2019 La femme allaitant des serpents et ses liens avec la Luxure Bulletin du centre d'études médiévales d'Auxerre | BUCEMA, 23.2 | 2019 Il existe quelques énonciations, dans l'occident médiéval et dans le monde byzantin, de femmes aux seins dévorés par des serpents en enfer, punies pour des fautes à caractère tantôt sexuel, tantôt maternel. Quand la faute est de nature sexuelle, ce sont des femmes adultères, des fornicatrices, des prostituées ou des courtisanes. Dans un manuscrit byzantin du IX e siècle, la Vierge descend aux enfers, accompagnée par l'archange saint Michel, et y découvre des femmes torturées : Des reptiles à deux têtes dévoraient leurs seins. La Vierge interroge l'archange : « Qui sont-ils et quel est leur péché ? » Et l'archange lui répond : « Ma Vierge, ce sont ceux qui ont livré leur corps à la prostitution et c'est selon cette manière qu'ils sont condamnés à l'Enfer » 15. Dans un apocryphe byzantin, également du IX e siècle, L'apocalypse de la Mère de Dieu, « un dragon à dix têtes dévore les seins d'une diaconesse fornicatrice 16 ». Dans un texte du début du XI e siècle, l'abbé Richard de Saint-Vanne de Verdun rapporte la vision d'un moine à l'article de la mort. Sur un étang gelé et enneigé, il a vu des femmes aux mamelles « dévorées par des monstres horri...