Des indicateurs pour gouverner la qualité hospitalière. Sociogenèse d’une rationalisation en douceur

Abstract

International audienceLe secteur hospitalier français est affecté par de multiples réformes prétendant optimiser sa gestion. Dans l’ombre du déploiement de nouveaux instruments de tarification inspirés des logiques du New Public Management, des dispositifs d’évaluation de la qualité des soins sont discrètement généralisés, parmi lesquels des indicateurs censés évaluer la qualité hospitalière. Nourris de savoirs diversifiés, équivoques dans leurs usages, ces indicateurs sont suffisamment plastiques pour ne pas brusquer les professionnels de santé. Ils n’en constituent pas moins une technologie normative robuste, déployée à grande échelle, qui s’est imposée en profondeur dans la régulation hospitalière. Cet article retrace la sociogenèse de ces indicateurs de qualité sur une vingtaine d’années. L’idée que les hôpitaux doivent rendre des comptes en matière de qualité a émergé comme un motif d’action publique à la fin des années 1990, dans un contexte marqué par les infections nosocomiales, la mobilisation de patients et les palmarès hospitaliers des médias. Dans les années 2000, experts et régulateurs ont dû inventer une réponse acceptable à ces pressions en faveur de l’« auditabilité », sous la forme d’une instrumentation aux caractéristiques singulières. Notre analyse de la sociogenèse discrète, prudente et incrémentale des indicateurs de qualité montre comment une entreprise de rationalisation gestionnaire a pu s’épanouir en douceur dans la régulation d’un secteur à dominante professionnelle

Dicter son compte-rendu pour maîtriser l’interaction

“…Lors de nombreuses consultations, il nous est apparu que le praticien cherchait, en prononçant le compte-rendu devant le patient et en soutenant son regard, à chercher confirmation (dans le regard) des propos précédemment émis, soulignant par la même occasion que ses propos étaient entérinés, gravés dans le marbre du compte-rendu de consultation. En détournant son regard de l'ordinateur (où le chirurgien vérifie généralement la bonne retranscription des propos par le logiciel) vers le patient, le praticien recherche une forme de confirmation tacite et ainsi à responsabiliser le patient « en douceur » [13], comme le montre l'extrait suivant : Un homme de 35 ans, d'origine étrangère, précédemment opéré (hépatectomie droite) d'un cancer primitif du foie, consulte pour une réactivation virale de l'hépatite B. Le chirurgien demande à plusieurs reprises au patient s'il a bien continué à prendre le traitement antirétroviral en post-opératoire : « Vous prenez bien votre traitement hein, c'est pas un sujet ?…”

Confier une décision vitale à une machine

“…Ils doivent définir la stratégie de prise en charge en fonction des sorties de l'algorithme. Le nombre de points devient un argument pour justifier la stratégie thérapeutique lors des réunions d'équipe ou en entretien comme ici avec un cardiologue : « si on veut envisager une greffe cardiaque, mais qu'on se rend compte [que le patient] a un score faible, donc un rang faible, on se dit qu'il ne peut pas avoir accès à une greffe, ça nous pousse à envisager d'autres alternatives thérapeutiques comme l'assistance ventriculaire [...] À l'inverse, si on sait que le patient est très haut, […] on peut se laisser un peu de temps et ça change la prise en charge en fait » Cette forme de gouvernance revêt ici un caractère plus autoritaire que les traditionnels indicateurs hospitaliers, dans la mesure où elle affecte plus directement les pratiques médicales (Bertillot, 2016). Parce qu'il est intégré dans le code informatique du système automatisé de décision, son déploiement dans tous les services est immédiat et inéluctable, à tel point que le nombre de points devient un argument à part entière dans l'élaboration de la stratégie de soin.…”

Tools of power: pay-for-performance in French and German health reforms

“…These accounts are nuanced by interviewees who explained that there was a certain friction between SHI and MoH. Hugo Bertillot, in his study on the evolution of quality indicators in France, concluded that MoH and SHI were in competition over who would be the first to introduce P4P: SHI as part of its remit for ambulatory care or MoH in its stewardship over the hospital sector (Bertillot, 2014).…”