Cet article rend compte de potentielles émancipations féministes au nom de valeurs traditionnelles féminines (rôle nourricier des femmes, attachement à la terre) en Afrique de l’Ouest. L’article accuse deux éléments de rendre ces féminités illisibles : d’une part, une définition occidentale de l’émancipation, essentiellement basée sur la critique de la tradition et des rôles de genre et promouvant ainsi un idéal d’autonomie individuelle et d’indépendance économique inadapté à la réalité sociale ouest-africaine; d’autre part, la persistance du paradigme développementiste qui a enfermé la réalité des femmes africaines dans une course au développement dont elles partaient déjà perdantes. Ces deux éléments conditionnent ainsi tout féminisme à un arrachement (littéral et symbolique) à la nature. Comme les femmes rurales ouest-africaines n’obéissent pas à ce modèle, les féminités en action sont renvoyées du côté de la tradition non seulement par le féminisme libéral, mais également par le paradigme moderne-développementiste, ce qui les rend inaudibles. L’écoféminisme, parce qu’il vise d’une part à révéler la consubstantialité du soin de la terre et du projet féministe, et d’autre part, à situer les utilisations et les subversions des féminités à des fins féministes et écologiques, peut servir d’outil de traduction de ces féminités, à la condition essentielle qu’il soit décolonial et porté sur la subsistance. Enfin, cet article met en lumière les conditions de production de trois formes de féminités à la lumière du développement : la féminité bourgeoise, définie par la sphère domestique et l’externalisation du travail, la féminité indépendante et autonome, basée sur l’accumulation économique et la sortie de la sphère reproductive, et enfin, la féminité « sorcière », qui naît précisément en réaction au néolibéralisme.