Les répertoires parallèles de l'Opéra et de la Comédie-Française à la n de l' Ancien Régime 2 L'histoire de l'Opéra (ou Académie royale de musique) et celle de la Comédie-Française sont intimement liées. Fondées à onze années d'intervalle -l'Opéra en 1669 et la Comédie-Française en 1680 -, les deux institutions se sont vu accorder un monopole similaire par le pouvoir royal et ont ainsi joué un rôle central dans le monde des spectacles et dans la vie publique. Ce qui est particulièrement frappant, c'est que toutes deux ont contribué à la mise en place d'un répertoire canonique, composé pour l'une de Molière, Pierre Corneille et Jean Racine, et pour l'autre, de Jean-Baptiste Lully et Jean-Philippe Rameau. On peut dire que les oeuvres de ces deux compositeurs et de ces trois auteurs dramatiques constituent le « haut canon » (high canon) du répertoire des deux institutions. Cet essai s'attachera à analyser la manière dont les canons de l'Opéra et de la Comédie-Française évoluent de manière parallèle et connaissent tous deux des changements majeurs dans les années 1770-1780. D'un côté, l'arrivée de Christoph-Willibald Gluck à l'Opéra entraîne, en 1774, l'abandon de l'ancien répertoire -à l'exception du Devin du village de Rousseau créé en 1752 -et engendre une vive controverse sur les mérites relatifs de la musique de Gluck et celle de Niccolò Piccinni, engageant l'avenir de l'opéra français dans son ensemble. De l'autre côté, la Comédie-Française expérimente de nouvelles formes, en particulier le genre du drame, qui donne lieu à d'intenses polémiques contre certaines pièces qui sont jugées indignes de la grande tradition de la troupe. Au même moment, le statut de monopole accordé à la Comédie-Française se trouve par ailleurs fortement critiqué, au point de lui être retiré en 1791, puis aboli en 1793. À l'inverse, l'Opéra parvient à fonder avec succès un nouveau répertoire, qui résiste aux bouleversements politiques jusque dans les années 1820. Un article sur la Comédie-Française paru dans le Mercure de France en 1778 témoigne du changement de goût qui occupe alors la presse de l'époque : Ce goût, devenu excessif, a déjà été la cause de la décadence de notre Théâtre ; il menace encore d'être celle de sa chute totale. C'est au moment où les Juges des Arts se multiplient davantage, que les Arts sont le plus mal jugés, que les talens médiocres abondent, qu'ils trouvent de la protection chez les faux Connoisseurs […]. & l'on peut être surpris sans doute, que la Nation qui a le droit de s'enorgueillir d'avoir vu naître dans son sein des hommes tels que Molière, Corneille, Racine, Regnard, Destouches, Crébillon, Voltaire se soit rassasiée de leurs chef d'oeuvres au point de leur préférer des productions dont tout le mérite