Depuis que la pensée humaine intéresse philosophes, psychologues, linguistes, et, depuis quelques décennies, chercheurs en sciences de la cognition, les débats sur la nature de l'esprit humain et sur les processus guidant son développement s'organisent selon différents pôles. Parmi eux, contextualisés selon les paradigmes et les époques concernés, empirisme/rationalisme, inné/acquis, nature/culture, concrétude/ abstraction, généralité/spécificité, syntaxe/sémantique, structure/surface, fond/ forme, surgissent de manière récurrente. Certains débats contemporains, influencés par la théorie de l'information (Shannon, 1948) et les avancées technologiques, mêlent également en toile de fond la question de la possibilité de « mécaniser » les flux de la pensée par des algorithmes qui la simule, celle du caractère inspirant ou fourvoyant de l'analogie humain-ordinateur, et du miroir aux alouettes versus de la voie prometteuse que constituent les approches symboliques. L'ouvrage de Gilles Fauconnier (1984), Les espaces mentaux, a été une contribution marquante à la question de la centralité de l'attribution de sens et à l'impossible solubilité de cette question dans celle de la forme. Il a introduit une vision qui interrogeait la fécondité d'un ancrage symbolique du computationnel, tout en légitimant pleinement dans le champ des sciences de la cognition l'approche que lui-même développait.
L'ouvrage co-écrit avec Mark TurnerThe way we think (Fauconnier & Turner, 2008 ; voir aussi Turner & Fauconnier, 2014) place le phénomène de « blending », dit aussi « intégration conceptuelle » au coeur de la cognition humaine, de ses manifestations les plus routinières aux créations les plus décisives de l'esprit. Cette subtile et complexe capacité humaine de mélanger des existants pour les dépasser, de « faire du neuf avec du vieux » pour reprendre une expression populaire, marque une contribution décisive de Gilles Fauconnier à la psychologie, aux neurosciences, à la linguistique, à la philosophie, à l'intelligence artificielle, à la littérature, aux arts, au design, à la conception. Cette approche a en effet outillé de nombreuses personnes du monde académique, des arts et de la création, qu'il s'agisse de saisir un mécanisme de pensée, de soutenir la création d'une oeuvre ou de développer la créativité d'une idée. Cette théorie originale et innovante est contre-intuitive, car comme l'annoncent Fauconnier Les espaces analogiques