Étant donné l’image d’auteur engagé contre toute forme de pensée réactionnaire dont bénéficie Édouard Louis dans le champ littéraire et l’espace public français depuis la sortie évènementielle de son premier roman En finir avec Eddy Bellegueule (2014), la teneur du discours proposé par l’écrivain lors de la publication de son second livre, Histoire de la violence (2016), était remarquable. Louis n’a eu de cesse, sachant que l’agression autour de laquelle s’articule le récit implique un homme d’origine kabyle, d’insister sur la peur qu’il avait éprouvée de voir son texte faire l’objet d’une appropriation qui le transformerait en un “objet raciste,” et a systématiquement insisté sur sa volonté de faire du roman, au vu de la nature sensible des thèmes abordés, “un livre profondément antiraciste.” Il s’agira dans cet essai d’interroger les implications de cette angoisse littéraire à travers une réflexion sur la place ambiguë occupée par le facteur racial dans un dispositif narratif qui oscille entre d’un côté le besoin de s’assurer que “la lecture raciste devien[ne] comme impossible,” et de l’autre le souci d’inscrire l’expérience de la violence dans un contexte postcolonial. Histoire de la violence constitue selon nous un cas privilégié permettant de réfléchir à la question de la responsabilité et ce que nous appelons “l’éthique d’engagement des écrivains blancs” dans le contexte de la France contemporaine marqué à la fois par la montée en puissance du discours réactionnaire, et un intérêt croissant pour les récits mettant en scène des personnages postcoloniaux.