Objectifs Cet article a pour objectif premier de dresser un portrait institutionnel de l’Asile Saint-Jean-de-Dieu au cours de ses cent premières années d’existence, soit de 1873 à 1973. Les objectifs secondaires sont les suivants : 1) les politiques de prévention de la fin du 19e siècle ont eu pour effet d’augmenter la population asilaire au lieu de la diminuer ; 2) les politiques d’hygiène mentale chercheront à « traiter le social » à l’extérieur des murs de l’asile ; 3) c’est l’arrivée de la psychopharmacopée qui permettra d’ouvrir les portes de l’asile et d’en faire un hôpital psychiatrique moderne, renommé peu après Louis-Hippolyte-Lafontaine.
Méthode Le passé est plus silencieux que bruyant et trouver des données qui nous permettent de reconstruire une histoire de Saint-Jean-de-Dieu est un défi. Notre collecte de données comprend toutes les sources primaires que nous avons pu récolter (archives de l’IUSMM, rapports annuels du gouvernement sur les asiles et articles de la revue L’Union médicale du Canada) de même que les sources secondaires produites au fil du temps, soit des ouvrages et articles publiés sur l’histoire de Saint-Jean-de-Dieu. L’analyse qualitative de ces données est basée sur l’induction analytique (Pascale, 2012). Après plusieurs lectures des documents, le contenu est associé à des concepts clés suivant la saturation théorique (Laperrière, 1997) et l’analyse des données s’effectue ainsi selon les concepts clés les plus significatifs. Dans le corpus qui est le nôtre, le concept clé de surpopulation asilaire a été central dans l’élaboration de notre interprétation.
Résultats Cet article met en lumière l’impossible mission première de guérison des troubles mentaux à l’Asile Saint-Jean-de-Dieu. En cette fin du 19e siècle, alors que la paupérisation urbaine est de plus en plus marquée, les théories médicales prônent des politiques d’internement hâtif. Malgré plusieurs lois provinciales qui réitèrent que les malades chroniques ne peuvent être admis que s’ils sont dangereux, scandaleux ou monstrueux, la population admise augmente de plus en plus jusqu’à la fin des années 1940. En parallèle, le ratio patient(e)/psychiatre est au mieux de 300 pour 1. La mise sur pied d’un département de psychiatrie francophone et de stages obligatoires au cours de l’entre-deux-guerres fera en sorte que plus de médecins seront formés pour y travailler. Mais c’est la découverte des neuroleptiques qui permettra à une nouvelle génération de psychiatres d’ouvrir les portes de l’Institution dans les années 1960. L’ère des asiles prend ainsi fin dans la forme qu’on lui connaissait depuis un peu plus de 100 ans.
Conclusion L’asile perdra rapidement son sens premier, celui d’un lieu où l’on trouve refuge, pour être associé progressivement à une mise à l’écart de personnes folles augmentant par là même les préjugés et tabous au sujet des troubles mentaux dont nous sommes toujours, en partie, tributaires.