À l'interface entre politiques de l'environnement et connaissances scientifiques écologiques, la directive cadre européenne sur l'eau (DCE) est un cas exemplaire sous de multiples aspects : une inscription claire dans le New Public Management (NPM) qui envahit nos appareils d'État, une traduction du « bon état écologique » en termes d'indicateurs mesurant l'éloignement à des conditions de référence par ailleurs objets de débat dans la recherche écologique, une opportunité pour définir et appliquer des itinéraires de restauration. Le travail à deux voix d'une sociologue et d'un écologue produit ici une analyse fine des conditions d'émergence et de mise en oeuvre de la DCE tout en identifiant les contours de futurs débats (restauration, appropriation citoyenne) au-delà même du terme prévu de la directive (en 2027).
La RédactionRésumé -La directive cadre européenne sur l'eau (DCE) 1 impose une nouvelle forme de gestion des milieux aquatiques et la notion de conditions de référence est un point-clé pour la mise en oeuvre de l'évaluation (mesurée comme un écart à cette référence) et pour définir les objectifs de restauration. Cependant, de nombreuses critiques se sont élevées contre ce concept. Le contexte de « changement global 2 » ne fait que renforcer cette tendance. Dans cet article, coécrit par un écologue et une sociopolitiste, nous revenons sur la construction sociale et scientifique de cette notion, des indicateurs qui en découlent et de leur agrégation dans la DCE. En nous focalisant sur son application aux cours d'eau, nous expliquons son origine, son succès, ses limites et les questions que pose son institutionnalisation. Cela nous conduit à nous interroger sur l'avenir de cette politique, en particulier du point de vue de la restauration.
Abstract -The reference conditions in the EU Water Framework Directive confronted with the dynamics of hydrosystems and their uses.The reference conditions are a key concept of the European Water Framework Directive (WFD). This directive holds that the ecological status of a particular water body shall be assessed by quantifying the deviation from the typical reference conditions which refer to a stable state of an ecosystem in the absence of significant human disturbance. This concept is subject to criticism from several authors, all the more since global change will deeply modify the functioning of aquatic ecosystems and their associated biocenosis, whatever the impacts of human activities at local scale. In this paper, an ecologist and a sociologist reconsider the social and scientific construction of the reference conditions concept and associated rules ("one out -all out"). We explain its origin, success and limits, as well as the questions it raises. We point out aspects not considered in this concept and why it challenges the WFD implementation and future management of rivers.