Introduction générale. Se rétablir et/ou guérir : pluralité des expériences, des pratiques, des acteurs de l’aller mieux en santé mentale et ailleurs

Entretenir les possibles

“…À travers l'histoire de la psychiatrie de nombreux termes, révélateurs des contextes socioculturels dans lesquels ils circulent et des manières dont les traitements et les prises en charge psychiatriques évoluent (Castel, 1976;Foucault, 1961;Gauchet et Swain, 1980;Zarifian, 2000), ont été utilisés pour exprimer « l'étrangeté d'âme » (Demailly et Garnoussi, 2016b) : aliénation, possession, folie, maladie mentale, trouble psychique. Comme on l'a évoqué, dans nos sociétés contemporaines occidentalisées, un intérêt grandissant pour les expériences de souffrance des individus s'observe (Vrancken, 2016), notamment au travers de la démultiplication de dispositifs de prévention et de promotion de la santé mentale (De Munck et al, 2003 ;Doucet, 2016b;Ehrenberg et Lovell, 2001a;Fassin, 2004a;A.…”

“…Insistons, par ailleurs, sur le caractère clinique important que revêt la notion de trouble mental. En effet, ce dernier renvoie au langage commun promu par les classifications de nosographie psychiatrique (Demailly et Garnoussi, 2016b) Si de nombreuses critiques existent à l'égard de ces classifications (Adam, 2012;Decorpeliada, 2010;Kirk et Kutchins, 1992;Pilgrim, 2007) et que la publication du DSM V (American Psychiatric Association, 2013) laisse entrevoir l'arrivée d'un paradigme dimensionnel plutôt que catégoriel des troubles (Namian et Kirouac, 2015), force est de constater l'étendue du référentiel dépassant le champ de l'expertise psychiatrique et diagnostique. Par exemple, les catégories de maladie mobilisées par l'assurance-invalidité suisse sont pour la plupart inspirées de la CIM ou encore, le portail suisse romand pour la promotion de la santé mentale catalogue les principaux troubles en se basant sur les deux manuels, le DSM dans sa version 5 et le CIM dans sa version 10 : « troubles anxieux, dépression (ou troubles dépressifs), troubles bipolaires, schizophrénie, troubles addictifs, troubles du comportement alimentaire, trouble de la personnalité borderline » 21 .…”

“…Certes, avec une certaine appréhension quant aux conditions de sortie institutionnelle des jeunes, de nombreux praticiens rencontrés nous expliquaient effectivement comment ils sont dans l'adaptation continuelle, dans une logique d'individualisation des suivis visant à faire évoluer les jeunes en les prenant là où ils se trouvent pour les amener à « aller mieux » (Demailly et Garnoussi, 2016b;Doucet, 2016b), à les réarmer en les activant, en les formant, en les socialisant progressivement à la réalité du marché du travail. Somme toute, ces espaces potentiels constituent d'abord des espaces mouvants, au sens où pour faire cheminer les jeunes, ils se doivent de revêtir, d'épouser un tant soit peu les propriétés des publics qu'ils reçoivent, de s'y adapter, tel que nous l'avons introduit en ouverture du premier chapitre, en nous appuyant sur les propos du responsable institutionnel qui déclarait la sensibilité de tels lieux, comme pour signaler un processus de personnification institutionnelle.…”

“…Peu importe la finalité que vise le rendre capable, la nature des contrats et des projets qui équipent les praticiens pour mettre en mouvement les jeunes, nous avons identifié que la négociation des praticiens avec les jeunes vise d'abord à travailler cet « embarquement commun », terme qui incarne non seulement l'idée d'un engagement réciproque permis par le lien relationnel (on se met les deux dans le bateau), mais connote aussi la mise en branle, l'impulsion initiale du « rendre capable » (on met le bateau à l'eau pour naviguer). De plus, comme l'intervenante québécoise le verbalise bien dans le dernier extrait cité, « embarquer », c'est aussi s'inscrire dans une forme de normativité attendue des intervenants, gage de leur engagement sur la voie de l'aller mieux (Demailly et Garnoussi, 2016b).…”