Les historiens des mathématiques ont longtemps exalté les réalisations des anciens Grecs, symbolisées par un seul nom, Euclide d’Alexandrie. Les treize livres qui composent ses Éléments occupent, dans les mathématiques grecques, une place comparable au Parthénon dans sa tradition architecturale. L’appréciation du classicisme grec a en outre été renforcée par l’idéal de la géométrie euclidienne, un style qui a persisté jusqu’en plein xixe siècle. Il a fallu attendre les premières décennies du xxe siècle pour qu’émerge une nouvelle image des mathématiques anciennes, proposée par les recherches pionnières d’Otto Neugebauer sur les mathématiques égyptiennes et surtout mésopotamiennes. Bien que fondée sur une analyse détaillée des sources primaires, le travail de Neugebauer était instruit par une large vision des sciences exactes des cultures antérieures aux Grecs. Il en vint donc à rompre avec la vision traditionnelle d’une science européenne hellénocentrique. Les analyses historiques de Neugebauer et son approche méthodologique, qui faisait plus de place aux techniques mathématiques tout en diminuant l’importance des commentaires philosophiques, fut l’objet d’attaques lorsqu’il émigra aux États-Unis en 1939.