Par l’abondance des contenus numériques produits et publicisés par les manifestants, le mouvement des Gilets jaunes conduit à interroger l’actualité du modèle de la « manifestation de papier » de Patrick Champagne. En effet, si ce mouvement se caractérise par une large couverture médiatique, notamment sur les chaînes d’information en continu, et un soutien durable dans l’opinion publique sondagière, il a rapidement été dépossédé de la construction publique du sens de la mobilisation notamment parce que sa dimension politique a été occultée par un cadrage journalistique insistant largement sur les violences manifestantes. L’abondance des contenus numériques publicisés par les Gilets jaunes a contribué à la visibilité du mouvement tout en le rendant moins lisible. Ces images n’ont guère été reprises dans le champ journalistique. Plus encore, l’économie des manifestations, caractérisée par une organisation « horizontale », se distingue des manifestations de papier plus ritualisées, où les porte-parole jouent un rôle important dans le travail d’interprétation journalistique et politique. Le cadrage du mouvement des Gilets jaunes, notamment dans le sous-champ journalistique généraliste, et la réponse politique qui lui fut apportée étaient désajustées des attentes des manifestants et de leurs soutiens en raison de la persistance des routines interprétatives et pratiques des journalistes et des gouvernants. Fonctionnant encore largement avec les règles médiatique et sondagière des années 1980-1990, le gouvernement apporte une réponse davantage ajustée au cadrage médiatique dominant du mouvement des Gilets jaunes qu’aux revendications exprimées par celui-ci dans la rue comme sur les réseaux socionumériques.