L’article examine comment le développement de l’esprit critique est devenu une visée éducative majeure dans l’éducation aux arts et aux médias. Adoptant une démarche sociohistorique reposant sur l’analyse d’un corpus de textes officiels (lois, décrets, circulaires et protocoles d’accord), il montre que l’idée selon laquelle les arts et les médias participeraient à la genèse de dispositions critiques est loin d’être nouvelle, mais que cette longévité masque un ensemble de métamorphoses, conduisant à un retournement de la signification accordée à cette visée en éducation. Alors que la pensée critique était considérée par les animateurs des Universités populaires comme un instrument de résistance contre l’ordre social, et comme une condition nécessaire au développement de mobilisations visant des transformations politiques, les usages contemporains de l’esprit critique comme finalité éducative renvoient à une logique de préservation, voire de protection, de l’ordre politique établi.