Cet article analyse les atteintes au principe de biolégitimité, telle que définie par Didier Fassin en 2001, qui accorde le droit du sol aux personnes malades ne pouvant se faire soigner dans leur pays. À partir d’une enquête menée sur les plaintes pour discrimination liée au VIH reçues à Unia, le Centre interfédéral belge de lutte contre les discriminations, il s’intéresse à trois figures anthropologiques permettant de rendre compte de trajectoires emblématiques de sans-papiers originaires du Maghreb et vivant avec le VIH en Belgique. Les figures d’Ahmed, de Djamila et de Saïd renvoient à des trajectoires idéales-typiques, relevant d’enjeux de sexualité, de genre et de criminalisation, profondément modulées par les politiques migratoires, de régularisation, d’asile et d’expulsion. Dans la trajectoire d’Ahmed, le VIH se mêle aux enjeux de sexualité, dans la mesure où le diagnostic de séropositivité vient s’ajouter à une homosexualité difficilement vécue. Or les restrictions d’accès à la régularisation sur base de l’état de santé ne lui permettent plus d’être légal sur le territoire. La seconde figure, incarnée par Djamila, renvoie à l’histoire genrée du VIH car elle s’inscrit dans un parcours de dépendance à un homme et de violences sexuelles. Le VIH est alors le moindre de ses problèmes, noyé dans une accumulation de dénis de droits, surtout que le rapprochement familial nécessite des années de cohabitation. Enfin, dans la troisième figure, personnifiée par Saïd, le VIH s’inscrit dans une dimension criminelle, aggravant la double peine des étrangers enfermés pour des délits ou du simple fait d’avoir été arrêtés sans papier, voire permettant une triple peine du fait de la récente pénalisation de la transmission et de l’exposition au risque de transmission du VIH. Ainsi, le durcissement des politiques migratoires européennes s’apparente aujourd’hui davantage à une nécropolitique qui crée des mondes de sans-droits et finalement de « morts-vivants » pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe (2006).