Merci mon Dieu de ne pas m'avoir fait naître filleAu cours du XX e siècle, les études démographiques avaient noté une mortalité différentielle dans les pays dits alors « sous-développés » : moins bien nourries, moins bien soignées, mariées très jeunes et souvent mères entre 15 et 17 ans (en 1991, 72 % d'entre elles l'étaient encore au Niger), les filles sont souvent aussi moins scolarisées, très tôt dédiées au travail des tâches domestiques. Enfin, elles sont exposées à toutes les formes de violences, particulièrement sexuelles, de l'inceste à la prostitution, sans parler des « meurtres d'honneur », en cas de relations sexuelles hors mariage dans certains pays (Bangladesh, Pakistan, Yémen, entre autres). Mais alors que l'hygiène, le niveau de vie et la scolarisation progressaient dans la deuxième moitié du XX e siècle et normalisaient cette mortalité différentielle, plusieurs phénomè-nes sont apparus qui ont provoqués une distorsion considé-rable du sex ratio juvénile dans le continent asiatique. On sait depuis le XVII e siècle qu'à la naissance, il existe un léger excès de garçons [1] et des recensements étendus, effectués de 1962 à 1980 dans 24 pays d'Europe avaient permis de situer le sex ratio -désormais appelé plutôt rapport de masculinité : nombre de garçons sur le nombre de filles -entre 105 et 107, avec une médiane à 105,9 [2]. En Asie, plusieurs facteurs sont intervenus pour modifier ce rapport. À la préférence masculine ancrée sur les coutumes, les traditions et la religion, est venue s'ajouter, dans plusieurs pays, une législation coercitive de limitation des naissances, notamment avec l'apparition des techniques de dépistage prénatal et, parmi elles, l'échographie permettant de connaître le sexe de l'enfant à naître. L'interruption volontaire de grossesse devenait licite. Les couples ont donc été tentés par la pratique de l'avortement sélectif des filles, et le « désir du garçon à tout prix » [3] a conduit à la multiplication des cliniques privées spécialisées en Chine et en Inde. Dès les années 1980, celles-ci apparaissent à New Delhi, au Pendjab. Des unités « médicales » mobiles sillonnent les villages, et on offre le package (écho-graphie suivie d'avortement) pour 5 000 à 10 000 roupies (100 à 200 €). La préférence masculine conduit aussi aux infanticides. En Chine, quand le diagnostic prénatal n'a pu être fait, les filles sont abandonnées très tôt après la (première) naissance pour conserver la chance d'avoir pour enfant unique un garçon, d'où la multiplication des missions d'adoption au sein des ONG. La surmortalité des filles est observée dans plusieurs pays. Elle doit être sous-évaluées en Inde, car un certain nombre d'accouchements n'est pas déclaré : à Karachi, la fondation Ehdi affirme avoir retrouvé en 20 ans les corps de 30 000 nourrissons dans les fossés de la ville 1 [4]. Aussi, dès la fin des années 1980, conscients de la gravité du phénomène, des associations, des démographes et des donneurs d'alerte ont multiplié les appels auprès des gouvernements et des instances internationales. A...