Le ressenti des enseignants-chercheurs : un conflit de valeurs

Abstract

Cet article s’intéresse au ressenti des enseignants chercheurs au sein des universités françaises. Il propose une cartographie des enseignants chercheurs en termes de satisfaction et d’implication. Il montre que ces derniers sont globalement satisfaits de leur métier. Leur plaisir au travail est associé à la dimension pédagogique de leur profession, à l’attachement à la notion de service public, à la liberté et à l’autonomie qu’ils ressentent et à la dimension intellectuelle de leur activité. Ils expriment également un fort attachement, principalement affectif, à leur institution et à leur profession. Quoi qu’il en soit, un malaise est également exprimé. Celui-ci concerne tout d’abord les rémunérations jugées trop faibles, ainsi que des conditions d’exercice du métier souvent difficiles. Ils signalent ensuite une surcharge de travail administratif et une dévalorisation des tâches pédagogiques dans l’évaluation. Une piste d’explication du mal-être peut être trouvée dans un conflit de valeurs entre des valeurs initiales qui avaient présidé au choix de carrière des enseignants chercheurs et les nouvelles valeurs qui émergent des réformes des universités, plus centrées sur l’efficacité et l’efficience. La réflexion s’appuie sur une étude empirique auprès d’un échantillon quantitatif de 2028 répondants et de l’analyse qualitative plus détaillée des réponses textuelles de 696 enseignants-chercheurs.

La transformation de l’université française : La perception des universitaires

“…Le point de départ des recherches sur l'évolution de l'enseignement supérieur en France est le sentiment partagé par les universitaires que la vie académique n'est plus la même qu'avant (Fave-Bonnet, 2002 ;Baumgartner et Solle, 2006 ;Chatelain-Ponroy et al, 2012 ;Drucker-Godard et al, 2013 ;Petitjean et al, 2014 ;Tandilashvili, 2016 ;Côme et Rouet, 2016). Comme les universités françaises subissent des pressions communes, la théorie néo-institutionnelle nous offre une grille de lecture intéressante pour examiner l'évolution de l'organisation universitaire à travers des pressions diverses qui coexisteraient dans le système de l'enseignement supérieur.…”

“…Notre recherche confirme aussi les observations des études précédentes montrant un conflit de valeurs au sein du monde universitaire (Fave-Bonnet, 2002 ;Baumgartner et Solle, 2008 ;Chatelain-Ponroy et al 2012 ;Drucker-Godard et al 2013 ;Côme et Rouet, 2016 ;Marini, 2021). Selon notre étude, les universitaires vivent ce conflit comme une transformation profonde de ce qui constitue la base de l'institution universitaire.…”

“…Sa gouvernance mêle les formes collégiales typiques à l'établissement scientifique, dont le pouvoir décisionnel est détenu par les scientifiques, et les modes de pilotage institutionnels, propres à chaque organisation. Ceci rend le modèle organisationnel de l'université unique(Mintzberg, 1979).Selon la théorie néo-institutionnelle, le degré de l'isomorphisme normatif dépendrait du degré de professionnalisation au sein relle importante entre les différentes disciplines notamment pour le recrutement, des valeurs universelles, telles que la liberté académique, la collégialité, l'indépendance, le service public, créent un cadre commun d'identification des universitaires, partagé par tout le monde(Drucker-Godard et al, 2013).La théorie néo-institutionnelle offre un cadre de lecture qui permet d'analyser les différentes pressions exercées sur l'université française. Premièrement, les réformes managérialistes, citées plus haut, sont susceptibles d'initier l'isomorphisme coercitif en imposant un cadre de référence de gestion commune aux universités.…”

Triptyque du sens du métier : un essai de conceptualisation. Explorations et analyses d’incohérences de sens dans les métiers du care

“…Aussi, alors que les valeurs s'expriment dans l'agir professionnel et contribuent à donner du sens au travail, « le sens du travail est ici mis en souffrance » (De Gaulejac, 2005, p. 237), tiraillé entre une éthique et un désir de métier (Osty, 2003) et des impératifs de performance désormais objectivés par des indicateurs chiffrés. Et si ces conflits de valeurs et de logiques s'observent notamment chez les enseignants-chercheurs (Drucker-Godard, Fouque, Gollety, & Le Flanchec, 2013), les agents administratifs (Caron & Giauque, 2005) ou encore les policiers (Meylan, Boillat, & Morel, 2009), ils s'avèrent plus prégnants encore au sein des métiers du care, où la quantification se soustrait aux activités relationnelles, où les prescriptions gestionnaires empêchent la qualité du travail et étouffent le sens du métier, où la dimension paradoxale entre logique de care et logique gestionnaire atteint son paroxysme.…”

Aliénation et émancipation en recherche, détour par la santé mentale et la recherche « avec »

“…Ils pointent les effets négatifs des nouvelles formes de gestion sur la santé mentale des professionnels (de Gaulejac, 2005). Les chercheurs n'échappent pas à ces évolutions comme le montrent un nombre croissant de recherches au plan international (De Sousa, 2015 ;Drucker-Godard, Fouque, Gollety & Le Flanchec, 2013). De fait, leur santé mentale est fragilisée par les effets de la concurrence scientifique mondiale.…”