Voyages dans le temps et dans l'espace d'un mot marin :batture. Ce qu'en dévoilent les mises en relief métalinguistiques dans les grands corpusWissner, InkaUniversité de Zurich inka.wissner@uzh.ch
IntroductionEn linguistique variationnelle contemporaine, les chercheurs disposent désormais de nombreux corpus qui ont été préparés au sein de la francophonie au cours des dernières décennies. Pour appuyer la description du français sur une analyse de réalisations effectives de la langue, il s'agit d'outils puissants, s'ils sont utilisés avec précaution (cf. Cappeau/Gadet, 2007). Qu'en est-il de leur apport effectif pour décrire les dimensions variationnelles du français moderne dans une optique panfrancophone ? Les analyses variationnelles peuvent-elles s'appuyer sur une exploitation exclusive de corpus (comme le TLF a construit sa nomenclature à partir d'une immense base de données, FRANTEXT) ? Ou dépend-elle toujours de travaux de nature métalinguistique ? La question est peu problématisée, en dehors de rares travaux comme l'article de Cappeau/Gadet (2007), surtout conceptuel, ou un travail à visée méthodologique, dans le domaine de la variation diatopique (Wissner, 2012). Les éléments métadiscursifs auxquels donnent accès les corpus -qui fournissent donc des représentations sur la langue, et non pas une description complète de celle-ci -ont-ils une fonction particulière pour aider le linguiste à cerner les unités de la langue, avec leurs caractéristiques connotatives et dénotatives ? Pour tenter de répondre à ces questions, le présent travail propose de retracer l'expansion dans l'espace et dans le temps d'un type lexical 1 du français moderne qui relève à l'origine du vocabulaire maritime et marin, et qui est partagé entre l'Ancien et le Nouveau Monde : batture (s.f.). Je propose de cerner ce type diatopiquement marqué en identifiant ses caractéristiques formelles, sémantiques et géolinguistiques, en synchronie et en diachronie -en retraçant donc aussi son trajet historico-variétal. L'analyse s'intègre dans le champ de la lexicologie philologique historique, représentée par des maîtres comme Cl. Poirier, A. Thibault et P. Rézeau. En recourant à la méthode dominante en ce domaine pour identifier et décrire les diatopismes (l'approche différentielle), j'ai exploité les ouvrages de référence qui font autorité (comme le FEW ou le TLF et des dictionnaires d'états anciens de la langue), en les complétant de sources spécialisées qui portent sur des domaines mal ou non représentés en lexicographie générale, en particulier la variation diatopique du français (comme DHFQ, DRF et DLF). De nombreux projets variationnels surtout lexicographiques sont en effet venus compléter les dictionnaires généraux, notamment depuis le dernier tiers du XX e siècle, en s'appuyant sur les données lexicographiques antérieures, sur des enquêtes de terrain, ou encore sur des ensembles textuels écrits, et oraux parfois. Dans l'approche différentielle, les corpus ont par ailleurs toujours eu un rôle complémentaire, venant diversifier la nature de...