Si les études autochtones sont marquées par la visibilité grandissante de certain.e.s poètes et écrivain.e.s des Premières Nations au Canada, il est possible de repérer des innovations esthétiques qui, au-delà de la poésie et du roman, intègrent de manière plus forte le point de vue des destinataires. C’est le cas du dialogue initié par Natasha Kanapé Fontaine et de Deni Ellis Béchard évoquant le racisme et l’ignorance de l’histoire des Premières Nations dont celle de la nation innue. En s’inscrivant dans une tradition épistolaire classique, Natasha Kanapé Fontaine et Deni Ellis Béchard s’adressent à un destinataire québécois en lui proposant de reconsidérer l’histoire du Québec et du Canada en prenant en compte l’héritage de la nation innue. Cet échange de lettres prend l’allure d’une conversation vivante et est utilisée comme une forme de didactisation des débats de la Commission de vérité et réconciliation du Canada sur les abus systématiquement commis dans les pensionnats. Cette Commission a rendu son rapport en 2015 peu avant la parution de Kuei, je te salue en pointant les racines d’un racisme institutionnalisé. Si la littérature autochtone s’affirme sans aucun doute comme un acte de ”survivance” culturelle, il semble que ce dialogue soit davantage habité par la création d’une empathie. En ayant recours aux méthodes de la communication non violente, nous aimerions analyser la manière dont cette œuvre travaille sur la relation intercommunautaire au Québec dans une perspective de pédagogie interculturelle Nous nous intéresserons au péritexte éditorial, à la musicalité du dialogue fait de reprises, de refrains et de commentaires avec la découverte des dernières lettres. Quel est le contrat proposé au lecteur par les deux protagonistes pour l’emmener dans ces vingt-six lettres ? Puis, nous nous intéresserons à l’apprentissage des mots-clés de la langue innue pour correspondre et enfin aux métaphores utilisées par les deux auteurs pour frayer ce chemin de la reconnaissance. L’hypothèse que nous émettons est celle d’une remembrance qui n’est pas une mémoire accusatrice, mais une mémoire réincorporant l’oubli de ces communautés. Cette réincorporation nous semble dessiner la voie d’une empathie nécessaire pour aborder la question de la réconciliation des mémoires.