Entre 1859 et 1956, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez a construit plus d’un millier de bâtiments dans les trois villes qui jalonnent le canal (Port-Saïd, Ismaïlia et Suez). En s’appuyant sur le fonds d’archives de la Compagnie et sur un inventaire des constructions en grande partie conservées, l’article propose d’analyser ce patrimoine immobilier dans une perspective d’histoire de l’architecture. À partir de l’étude des phases de constitution puis des formes produites et des protagonistes de la construction, il vise à mettre en évidence l’implication de la Compagnie dans l’aménagement des villes, ainsi que ses liens avec les autorités égyptiennes. Si, dans le domaine du foncier, la compagnie financière fut contrainte d’adopter des modes de gestion inédits âprement négociés avec les autorités locales, le domaine de l’architecture releva d’une gestion interne qui rend compte de pratiques plus conventionnelles inspirées par des modèles européens. En important des types d’habitat mis au point pour les cités ouvrières du nord de la France, les maîtres d’œuvres ont peu contribué à faire émerger des formes nouvelles. Paradoxalement, cette transposition quasi littérale de l’architecture patronale européenne imprime aujourd’hui à ce patrimoine égyptien une valeur singulière.