une constante de la production savante, c'est bien de proposer régulièrement des tournants ou supposés tels. Loin de déroger à cette règle, on peut se demander si les études européennes n'en illustrent pas un point limite. On n'en finirait pas, en effet, de recenser les tournants successifs qu'ont voulu impulser les auteurs dans le souci de rénover les paradigmes des relations internationales dominant ces quinze dernières années. Parmi ceuxci, on relèvera notamment le tournant libéral de la théorie intergouvernementaliste, les effets du tournant néo-institutionnaliste, dans ses différentes dimensions, le tournant constructiviste, ou plus récemment encore le « public administration turn » repéré par Jarl Trondal (2007). Ces vagues successives ont sans doute eu un effet positif, celui de ramener les points de débats des European studies vers les rivages des sciences sociales et de leurs clivages. Il n'en demeure pas moins qu'à suivre ces différentes vagues, on en éprouve parfois un sentiment de tournis peu propice à la compréhension d'un espace politique dont la complexité (au moins apparente) a déjà tendance à donner le vertige. En présentant, à la demande de l'éditrice, un article de synthèse sur la sociologie historique et politique de l'Union Européenne, il ne s'agira pas ici de proposer un nouveau tournant, mais plutôt au contraire de marquer une pause. S'il est un point commun de l'ensemble des travaux qu'on regroupe ici sous l'appellation « sociologie historique et politique de l'UE », c'est bien en effet de proposer un programme visant à inscrire ou réinscrire les questions européennes dans le giron des sciences sociales du politique. Pour différentes raisons, le terme de « normalisation » des études européennes qui a pu être employé n'est pas le plus adéquat, mais il y a bien eu dans ces travaux l'idée partagée de prendre pour objet la construction de l'espace politique européen avec une démarche, des concepts, des méthodes semblables à celles d'autres objets de sciences sociales. S'il peut apparaître nécessaire de « s'engager dans un processus de réflexion sur les approches conceptuelles » relevant de ce courant, on souhaite pour autant que cette pause ne relève pas seulement de la pose, ce qui est la pente inévitable de ce genre d'exercice. Il n'y a en effet souvent qu'un pas, souvent, vite franchi entre la présentation théorique et la prétention théoriciste, et pour le dire d'emblée et sur un plan personnel, je partage très largement l'idée que la meilleure théorie est celle qui se développe en actes, dans sa révélation empirique, plutôt que dans de vides pensum. Deux raisons invitent toutefois à se plier à cet exercice. Après dix ans, la prolixité de ce courant rend sans doute nécessaire un point d'ensemble, et ce tout particulièrement à un moment où cette réflexion se structure sur un plan de plus en plus international. Le terme de limite employé dans l'appel à communication de ce numéro éveille en outre l'intérêt. Non pas, cela va de soi, dans le sens d'un plan "apport et limites" qui viserait à la s...