Dossier : « Changer de regard sur la pauvreté »La distinction entre « bon » et « mauvais » pauvre, « méritant » ou non l'assistance, est enracinée, la représentation de la pauvreté charriant son lot de préjugés et de stigmates. L'historienne Axelle Brodiez-Dolino met en perspective l'évolution des frontières, des catégories et des politiques sociales qui construisent, déconstruisent et appréhendent la pauvreté.Chrétienne ou laïcisée, monarchique ou républicaine, la société a été et reste une interaction d'individus liés par un ensemble de droits et de devoirs, dont celui de contribuer au bien commun dans la mesure de ses forces. En contrepartie, toute personne peut prétendre, dans ses périodes de particulière vulnérabilité (enfance, maladie, vieillesse…), au soin des autres -conceptualisé comme « dette sacrée » de la Nation au temps de la Révolution 1 , « solidarisme » sous la III e République (Bourgeois 1896) ou « politique de care » dans nos sociétés contemporaines (Tronto 1993).Décider qui peut recevoir, et quand, dessine donc les frontières des systèmes d'assistance. D'où la construction, depuis la fin du Moyen Âge, de lignes de partage entre « bons » et « mauvais » pauvres, vouant les uns à la commisération et les autres aux gémonies -voire au châtiment. Nous voudrions montrer que ces lignes sont restées, jusqu'au second tiers du XX e siècle, étonnamment immobiles, en dépit de changements politiques, économiques et sociaux majeurs ; mais que, déjà lourdes d'apories dans le passé, les représentations qui les sous-tendaient sont devenues moins justifiables ; conduisant finalement à des déconstructions, tant associatives que sociologiques, puis à des changements de paradigme politique.