Loïc Wacquant, un des plus brillants sociologues français, professeur à Berkeley et spécialiste des processus de relégation urbaine, notamment l'hyper-ghettoïsation des Africains-Américains aux États-Unis, a récemment évoqué ces deux années de service civil au centre ORSTOM de Nouméa au milieu des années 1980 dans les Actes de la Recherche en Sciences Sociales. Son analyse de la Nouvelle-Calédonie est féroce et force le trait quand il dit qu'il a « vécu et travaillé dans une société coloniale très brutale et très archaïque : la Nouvelle-Calédonie dans les années 1980 était une colonie de type fin du XIX e siècle qui avait survécu, quasi intacte, à la fin du XX e » 1 mais peut se comprendre par l'exacerbation des tensions au moment où il était en Nouvelle-Calédonie et par une sorte de sidération du Métropolitain face aux clivages socio-ethniques extrêmement marqués à Nouméa encore à cette époque-là. Le mot « rééquilibrage » a légitimé le volontarisme de l'État et l'action consensuelle qui se sont mis en place après les accords de Matignon (1988) afin de répartir plus équitablement les richesses, les équipements, les pouvoirs et les aptitudes entre les communautés et les lieux. Il n'est pas facile de transformer par la simple action des pouvoirs publics, une société, qui, à partir de 1853 et pendant près de un siècle, n'a été qu'une funeste machine à produire des catégories sociales hiérarchisées et à ségréguer économiquement, statutairement et racialement. Il faut se rappeler que 2012 marque le cinquantenaire du premier bachelier kanak (Boniface Ounou), un anniversaire oublié car peu glorieux. Des parcours universitaires et professionnels prestigieux comme ceux du Martiniquais Aimé Césaire (1913-2008) ou des Guyanais Félix Eboué (1884-1944) et Gaston Monnerville (1897-1991) étaient strictement impossibles en Nouvelle-Calédonie, car entre les systèmes coloniaux des « vieilles colonies » et de la Nouvelle-Calédonie la différence était de nature et pas de degré. De surcroît, l'application du code de l'indigénat a été plus ségrégative que dans d'autres colonies quand on sait que les premiers bacheliers sénégalais et cambodgien sont respectivement diplômés dans les années 1880 et 1920.