Le nom du sémioticien soviétique Juri Lotman, ainsi que la sémiotique de la culture de l’École de Tartu-Moscou en général, ne sont pas associés à la théorie critique. Les approches critiques visent à analyser la société contemporaine et sa transformation : les philosophes, comme le disait Marx, expliquent le monde, mais la tâche est de le changer. Dans la science soviétique, cependant, les postulats marxistes sont devenus des dogmes dont les sémioticiens ont voulu se libérer. Cette aspiration s’est incarnée non pas dans une critique du système existant, mais dans une coexistence presque escapiste avec celui-ci : les chercheurs ont abordé des questions historiques et créé un langage théorique difficile à comprendre, développant ainsi une science alternative au discours universitaire officiel. En partie à cause de cette incompatibilité de projets, la sémiotique de la culture a été ignorée par les études culturelles (cultural studies) politiquement engagées. Cependant, la sémiotique de la culture, en particulier le concept de sémiosphère de Lotman, a beaucoup en commun avec le discours critique des études culturelles. Dans cette optique, je place les idées de Lotman dans le contexte des tendances actuelles des études culturelles, ou « tournants culturels ». En comparant les études culturelles et la sémiotique de la culture de l’École de Tartu-Moscou, j’arrive à la conclusion que le politique a été refoulé du langage des sémioticiens soviétiques, et que le dialogue entre les deux traditions suppose de découvrir ce politique refoulé, notamment dans le concept de sémiosphère.