Parmi les domaines susceptibles de constituer un support pour l’établissement de passages entre Benjamin et Pasolini, susceptibles de faire consoner leurs pensées, ce texte privilégie celui du cinéma. Si la résorption du caractère expressif de la réalité au sein d’un univers instrumental, pour Pasolini, empêche de recourir encore à la transparence des grands poèmes du cinéma classique, de même que la disparition des grandes figures du narrateur, pour Benjamin, coupe la voie vers la narration en ses formes traditionnelles, pourtant, tous deux s’accordent pour reconnaître que, loin de devoir déplorer cet état de fait, il s’agirait de prendre acte de l’appareillage spécifique de notre époque, notamment en exhibant – à des fins, politiques, de démystification – l’intégration de la technique cinématographique à notre réalité.Des types spécifiques de récit restent donc possibles pour notre époque, signe que le récit en tant que tel est capable de résister à la perte d’autorité de ses formes traditionnelles, qui auraient eu à subir l’apparent dépérissement moderne de l’aura. Si le cinéma n’est certes pas appareil de narration, son esthétique du choc semble malgré tout compatible avec des modalités rénovées du récit, et d’abord avec des modalités assumant le fait que tout effet de naturalité doive dériver d’un surcroît de technique. Que l’individu quelconque, issu de la masse, soit le type même de l’acteur de cinéma (à l’opposé de l’acteur de théâtre), cela semble indiquer une inexorable perte d’aura ; pourtant, certains visages, intempestifs, traversant les films de Pasolini font indéniablement signe vers une résurgence de l’aura – avec l’ambiguïté que cela suppose : ces corps déshérités sont bien ainsi sauvés de l’oubli, et l’aura s’avère alors libératrice, mais, dans le même temps, cette dernière risque d’enchaîner le spectateur dans le rêve de l’autre, mouvement par lequel le rapport à l’autre se briserait.