Marc Richir et Emmanuel Falque sont deux philosophes français qui s'ignorent ou presque. Pourtant, l'un et l'autre ont en commun d'interroger les limites de la phénoménologie, en particulier quant à la question du sujet, ou plutôt du « soi ». Là où l'un définit le sujet comme « non-positionnel » (Richir), l'autre parle davantage du « soi hors je(u) » (Falque). Cet écart entre les Méditations phénoménologiques (Million, 1992)/ Fragments phénoménologique sur le temps et l'espace (2006) et Hors phénomène (Hermann, 2021), éclaire non seulement le passé mais aussi l'avenir de la phénoménologie. L'un et l'autre dans le sillage du denier Merleau-Ponty -et en particulier de l'inconscient phénoménologique -, s'interrogent ensemble sur le statut du « corps » à la frontière du Körper[1] et du Leib[2]. Il y va du « corps » et de la « chair » comme de l' « avoir » et de l' « être »[3]. Les frontières doivent être redéfinies, de sorte que le somatique n'est pas sans modifier du même coup le psychique. La différence entre les notions d'« écart » chez Richir et de « trou » chez Falque ouvre à un nouvel à priori de la phénoménologie si nous gardons à l'esprit qu'il y a dans la phénoménologie depuis Husserl un a priori du soi qui non seulement est sous-examiné à la lumière du Körper mais est toujours pensé comme un Leib ( être), le point zéro (Nullpunkt) ou le point de départ vers le monde, de sorte que ce Leib a toujours un « je », qui ne peut jamais être rangé[4]. L' « écart » de Richir et le « trou » de Falque n' interrogent pas seulement ce passé de la phénoménologie mais aussi ils deviennent une base nouvelle de penser l'homme. Si chez Richir l' « écart » devient la base de l'expérience de l'espace et du temps, le « trou » reste chez Falque Crossing: The INPR Journal Le sujet non-positionnel et le soi hors je(u): Marc Richir et Emmanuel Falque 3 la matière première par quoi tout vient se constituer (autour du trou), en nous échappant cependant toujoursune thèse qui mérite toute notre attention et que nous avons à notre manière défendue ailleurs.[5] Pour Richir l'on pourrait passer à côté de l'essentiel de l'expérience du soi, si l'on se contentait de s'en référer uniquement à l'être (le phénoménologique, le langage) et à l'avoir[6] (le symbolique, la langue). Avant d'avancer arrêtons-nous un instant et réfléchissons à une remarque de Emmanuel Alloa et Natalie Depraz parce que c'est à sa lumière que la pensée de Richir, et peut être aussi celle de Emmanuel Falque devient signicatif. Ils remarquent que « la frontière entre Leib et Körper »[7] n'est pas clairement délimitée -du moins chez Husserl -en référence à quoi pourrait se poser la question de l'attribution de l'importance d'une compréhension du soi ; en ce qui concerne la relation du soi à l'avoir et à l'être, à quoi s'attacher plus d'importance : à la dimension de l'avoir ou de l'être ? Selon Alloa et Depraz, Husserl n'aurait pas été très éclairant à ce propos, par son utilisation répétée de concepts déroutants (Leibkörper, leiblicher Körper etc…), de telle sorte que la...