RésumésCet article interroge la rencontre entre le monde des archives de l’État sud-africain et la philosophie de Jacques Derrida par l’intermédiaire de l’archiviste Verne Harris. Il apporte plus largement un éclairage original sur la fortune de l’ouvrage Mal d’archive et de la notion derridienne d’« archive », au singulier, au sein du tournant archivistique et dans l’espace intellectuel internationalisé contemporain. Son objectif est d’élucider les conditions de possibilité du transfert et de la réinterprétation de la notion d’« archive », telle qu’exposée dans Mal d’archive, afin d’élaborer un outil épistémologique de refondation des archives sud-africaines. Au-delà, il s’est agi, pour les passeurs d’« archive », de tenter de réinventer la nation sud-africaine au moment historique de la sortie de l’apartheid dans les années 1990. Dans un pays aux prises avec des archives qui documentent avant tout les politiques d’un État raciste, « sinistre boursouflure sur le corps du monde » selon Derrida, l’« archive » paraissait à même de raccorder des champs habituellement dissociés – l’archivistique, la politique et l’éthique. Les liens que Derrida tisse entre archive(s), savoir, pouvoir et mémoire et l’engagement politique précoce du philosophe contre l’apartheid expliquent l’attention portée à Mal d’archive à l’horizon des enjeux de mémoire, de réconciliation et de pardon, mais aussi d’oubli, auxquels l’Afrique du Sud était alors confrontée.