La référence à l'expressionnisme comme procédé de figuration de l'écrivain à l'écran (Kafka, de Steven Soderbergh,1991)
Alain BoillatRésumé :Cette étude examine la manière dont le film Kafka de Soderbergh (1991) procède à une « projection » du romancier tchèque dans le monde même de son oeuvre. Cette étude ne s'appuie pas sur le repérage systématique des diverses citations convoquées, mais interroge plus fondamentalement la démarche postmoderne qui sous-tend une telle pratique du pastiche. Celle-ci est en l'occurence nourrie de références au genre du film noir et à l'expressionnisme allemand. Kafka n'est pas le kafkaïsme. Depuis vingt ans, le kafkaïsme alimente les littératures les plus contraires, de Camus à Ionesco. […] À la fois réaliste et subjective, l'oeuvre de Kafka se prête à tout le monde mais ne répond à personne. Il est vrai qu'on l'interroge peu; car ce n'est pas interroger Kafka que d'écrire à l'ombre de ses thèmes. Roland Barthes .L'un des épisodes de la série télévisuelle américaine Breaking Bad s'intitule « Kafkaesk » (2010: s3e9); l'adjectif y est rapporté à l'implication de Jesse Pinkman (Aaron Paul) dans la fabrication massive de méthamphétamine pour un patron invisible appartenant à un cartel de la drogue. Il s'agit là d'une acception commune du qualificatif, utilisé pour décrire le fonctionnement dépersonnalisé et la structure hiérarchisée jusqu'à l'absurde d'une bureaucratie aux rouages insondables (étant elle-même « kafkaïenne » en ce sens, l'industrie du cinéma est portée à situer les représentations qu'elle produit dans le périmètre du capitalisme qui la fonde). Lorsque, à deux reprises, le terme apparaît dans une réplique de Breaking Bad, la situation souligne l'opacité que le mot revêt pour les personnages, Il y a là une « étrangeté » qui ne tient pas tant à l'univers du romancier qu'à l'inadéquation supposée de cette référence avec le grand public visé par la série. Pourtant, l'auteur Kafka est présent au cinéma : plusieurs cinéastes, de Terry Gilliam aux frères Coen, écrivent leurs scénarios et filment, comme l'écrivait Barthes, « à l'ombre de ses thèmes » (1964: 139). Steven Soderbergh est de ceux-ci, comme en témoigne son Kafka, sorti en 1991, auquel nous consacrons la présente étude. Nous montrerons comment ce film déjoue les attentes liées à la figuration de l'écrivain en présentant, sous les dehors d'un biopic, un récit qui s'apparente à une adaptation et renvoie à une oeuvre littéraire elle-même encline à la 1 2