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Recherches linguistiques de Vincennes 35 -2006 -p. 77-102Yvan ROSE Department of Linguistics, Memorial University of Newfoundland Canada Christophe DOS SANTOS Laboratoire Dynamique Du Langage, CNRS (UMR 5596) Université Lumière, Lyon-2
FACTEURS PROSODIQUES ET ARTICULATOIRES DANS L'HARMONIE CONSONANTIQUE ET LA MÉTATHÈSE EN ACQUISITION DU FRANÇAIS LANGUE PREMIÈRE*RÉSUMÉ Dans cet article, nous analysons des processus d'harmonie consonantique et de métathèse observés dans les productions de deux apprenants du français. Nous adoptons un cadre d'analyse qui prend en considération des facteurs à la fois phonétiques (articulatoires) et phonologiques (représentationnels). Nous motivons ce cadre par le fait que la variété et la distribution des processus résultent de facteurs spécifiques qu'il est possible de motiver indépen-damment. Dans certains cas, ces processus sont gouvernés par des contraintes prosodiques (par ex. position de l'accent ; forme phonologique des mots). Dans d'autres cas, ces processus permettent d'éviter des séquences articulatoires problématiques pour l'enfant (par ex. séquences impliquant la production de contrastes linguaux Coronal f Dorsal).
MOTS-CLÉSHarmonie consonantique, métathèse, légitimation prosodique, contraintes articulatoires.
YVAN ROSE & CHRISTOPHE DOS SANTOS
IntroductionDans cet article, nous nous concentrerons essentiellement sur les processus d'harmonie consonantique et de métathèse affectant les lieux d'articulation des consonnes. Ces deux phénomènes, attestés de manière systé-matique chez certains apprenants en langue première, impliquent des interactions de traits entre consonnes non adjacentes. L'harmonie consonantique conduit à une relation d'identité entre deux consonnes (par exemple, « bateau » [bato] r [bapo]), tandis que la métathèse résulte en une permutation des articulations consonantiques de la langue cible (par exemple, « bateau » [bato] r [dapo]).Malgré l'apparente simplicité de ces processus, plusieurs analyses ont été proposées pour expliquer leur émergence. Par exemple, pour expliquer l'harmonie consonantique chez les apprenants du néerlandais, Levelt (1994) propose que ce phénomène est le résultat d'un partage de traits entre la consonne harmonisée et une voyelle adjacente. Ainsi, l'harmonie labiale affectant le [k] de boek [buk] r [bup] « livre » serait causée par une harmonie de lieu entre le /k/ et la voyelle labiale (arrondie) /u/. En ce qui concerne les données de l'anglais, deux propositions principales ont été récemment émises. La première pose une contrainte qui oblige un trait à être aligné avec la frontière du mot (Goad, 1997), ce qui entraîne l'harmonisation des lieux d'articulation consonantiques. Par exemple, dans les données de Amahl (Smith, 1973), on observe une harmonie vélaire régressive (duck [d8k] r [g8k] « canard »). Cette harmonie est expliquée par Goad comme étant le résultat d'un alignement de l'articulation dorsale sur la frontière gauche du mot. Cett...