NOTE DE L'ÉDITEURMoudre ou faire bouillir, ces deux techniques de préparation des aliments décrites dans le présent article reflètent l'émergence et le développement de cultures régionales spécifiques en Asie. De la subsistance à la substance et au goût Qu'il s'agisse du présent ethnographique ou du passé lointain, l'anthropologie culturelle et l'archéologie s'intéressent depuis longtemps à l'alimentation, mais selon des perspectives différentes. Les archéologues ont tendance à traiter de la « subsistance » et des moyens par lesquels, de la cueillette à la production alimentaire, les groupes humains d'autrefois se procuraient la nourriture en quantité suffisante (Barker 2006). Les anthropologues ont quant à eux développé une réflexion sur les substances selon laquelle, à l'image du sang qui est défini par Schneider comme un « fait de la nature », les aliments et les liquides ingérés, au même titre que les excrétions comme le sperme ou la salive, font partie des composantes « naturelles » du corps (Schneider 1980 ; Carsten 2004 : 109-135 ;Bloch 2005 ;Warnier 2007). La plupart des systèmes culinaires s'inscrivent dans une symbolique riche qui renvoie à des conceptions originales du corps, de la famille et de la société (cf. Beardsworth & Keil 1997 ;Bell & Valentine 1997 ;de Boeck 1994 ;Douglas 1999 ;Lévi-Strauss 1978). Dans cet article 1 , nous nous efforcerons d'aller au-delà de la notion de « subsistance » et de confronter les évolutions à long terme dans la préparation et la consommation des aliments à celles des pratiques culturelles macro-géographiques liées à la nourriture, à son ingestion et aux sacrifices. français Haudricourt (1962), les images tirées du monde naturel et de l'agriculture nourrissent les sociétés humaines en métaphores, mais de manière très différente selon les régions, les espèces cultivées, le bétail et les soins dont ils font l'objet. Haudricourt souligne notamment le contraste qui existe entre l'Asie de l'Est, horticole, et la Méditerranée, pastorale.
1De nombreux travaux en psychobiologie de la nutrition et en « nutri-génétique » ont montré que le goût pour de nombreuses substances considérées comme appétissantes dans une société donnée est acquis. Il en est de même pour les dégoûts, qui sont largement eux aussi des constructions culturelles (Roizin 1987 ;Nabhan 2005). On peut aussi faire le rapprochement avec le concept développé par Bourdieu (1984 : 173-193) de goût comme expression de la culture de classe révélatrice du statut social au travers de préférences auto-légitimées. Si, à certains égards, les traditions alimentaires et culinaires peuvent être perçues comme « adaptatives », dans la mesure où elles contribuent à une amélioration de la santé ou de la résistance aux maladies (Nabhan 2005), leur développement à long terme et leurs mutations (ou au contraire leur perpétuation), en fonction de constructions sociales et/ou de motivations nutritionnelles, n'ont guère fait l'objet de recherches.
2Dans cet article, nous émettons l'hypothèse que la persistance des modes de commensa...