Sur un mode réflexif, cet article revient sur les difficultés à produire des matériaux photographiques dans un projet de recherche en sciences humaines et sociales qui s’est déroulé au Burundi entre 2018 et 2020. Son auteure a été co-responsable de ce programme, « Suburbu » (pour « Subsistance urbaine et mobilisations du travail au Burundi, début 20e-début 21e s. »), réalisé au sein de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université du Burundi dans le cadre d’un dispositif d’appui de l’Institut de recherche pour le développement (« Jeune équipe associée à l’IRD »). Dans ce texte, elle prend acte des revers qui ont marqué les ambitions initiales du projet en matière de photographie – en particulier, l’organisation d’une exposition – pour interroger les impensés qui en sont à l’origine, et examiner les pesanteurs et les blocages disciplinaires, culturels et humains qui ont verrouillé le champ des possibles en termes de prises de vue et d’usages scientifiques de la photographie. Il s’agit d’expliciter les situations pratiques, mais aussi les négligences théoriques et les lacunes techniques à l’origine de ces difficultés, et d’en souligner les effets, en commentant des images réalisées par l’équipe notamment, et en considérant les attendus de ce qui aurait pu « faire une bonne photo » pour une exposition publique, et au-delà, pour la recherche et son heuristique.Le texte poursuit un fil qui n’élude pas la succession d’erreurs et l’impression de légèreté qu’une prise de recul permet d’entrevoir à propos du (non-)usage de la photographie dans le projet Suburbu. Si certaines de ces anomalies sont explicables et justifiables, comme par exemple l’autocensure qu’une conjoncture sécuritaire hostile a conduit l’équipe à pratiquer, ou la méconnaissance de certaines techniques élémentaires pour produire des clichés utilisables à des fins scientifiques ou esthétiques, d’autres le sont moins et relèvent d’une insouciance ou d’un amateurisme que l’auteure s’attache à questionner. Ainsi les attendus et la valeur du rapprochement entre sciences sociales et photographie n’avaient pas vraiment été réfléchis en amont, ni la bibliothèque des connaissances consultée. De même, des réticences ou des objections subjectives sont venues renforcer une forme de détachement à l’égard des prises de vue, considérées comme accessoires voire inutiles. Entre les deux, des photographies ont tout de même été réalisées, qui « auraient pu être bonnes » si seulement leur très basse résolution ne les avait rendues quasi inexploitables (quelques exemples accompagnent ce texte). Ce dernier point, articulé à d’autres défauts de compétence, amène l’auteure à revenir sur les bénéfices techniques et pratiques, et encore intellectuels et scientifiques, attachés à une collaboration entre chercheur∙e∙s et photographes professionnel∙le∙s ou aguerri∙e∙s. Finalement l’idée est de conduire les équipes à envisager de manière plus routinière l’usage de la photographie dans les projets en sciences humaines et sociales, en intégrant dès leur phase préparatoire des professionnel∙le∙s de l’image, ou en prévoyant a minima des formations dédiées.