On a tendance à réduire les enjeux de laïcité aux seuls débats théoriques, mettant régulièrement la focale sur les systèmes normatifs et institutionnels à partir de travaux qui mobilisent les apports de la philosophie, du droit, des sciences politiques et de la sociologie. De fait, peu d’enquêtes, et cela tout particulièrement au Québec, ont tenté de documenter où et comment se vit, concrètement et au quotidien, la laïcité, alors même que les « grands » enjeux de laïcité naissent la plupart du temps dans de « petites » causes, dans de simples interactions individuelles, et se caractérisent souvent par leur dimension locale, voire même infra-locale. Inscrit dans le sillage de travaux relatifs aux conditions d’expression individuelle et collective des convictions religieuses dans les établissements d’éducation, cet article s’en distingue parce qu’il propose de les analyser à partir d’une « approche spatiale ». Il présente certains des résultats d’une recherche qualitative conduite dans 17 établissements d’enseignement supérieur (cégeps et universités) répartis sur l’ensemble du territoire québécois et ayant donné lieu à près d’une centaine d’entrevues semi-directives (95). L’article met en évidence des tensions entre une approche inclusive, soucieuse d’assurer à l’ensemble des personnes fréquentant les établissements publics des espaces accueillants et exempts de contraintes relativement à l’expression des manifestations religieuses, et une approche plus encline à un encadrement soutenu de ces mêmes manifestations, cherchant un cadre de référence et une certaine planification quant à la reconnaissance de la diversité religieuse. Cette ambivalence se traduit sur le terrain par une grande diversité des espaces religieux qui, bien souvent, se caractérisent par une forme de « bricolage » dans des interstices, des « angles morts » des établissements.