La fistule aortoentérique (FAE) est une complication relativement rare, mais potentiellement dramatique de chirurgie aortique, et son diagnostic peut s'avérer délicat. Il s'agit d'une urgence thérapeutique dont les modalités et pièges diagnostiques doivent être connus aux urgences.
ObservationUn homme de 59 ans est admis aux urgences pour prise en charge d'un méléna évoluant depuis quatre jours avec une anémie à 6,2 g/dl d'installation progressive sur plusieurs mois. Outre un anévrisme de l'aorte abdominale traité chirurgicalement par mise à plat/prothèse aortique trois mois auparavant, il présente comme principaux antécédents médi-caux une sclérose en plaques avec tétraplégie séquellaire ainsi qu'une cardiopathie ischémique avec un triple pontage coronarien 15 années auparavant.L'examen clinique initial retrouve des traces de méléna, avec une bonne tolérance clinique et hémodynamique : la fréquence cardiaque est à 94 par minute, la tension artérielle à 110/60 mmHg, et il n'existe pas de signe d'insuffisance circulatoire. Le patient ne rapporte aucune douleur abdominale. Sur le plan biologique, on confirme une anémie à 6,4 g/dl, avec un volume globulaire moyen (VGM) à 84 fl et un héma-tocrite de 22 %. On retrouve aussi un syndrome inflammatoire avec une protéine C réactive augmentée à 54 mg/l. Une FAE est évoquée en raison des antécédents récents de chirurgie prothétique aortique. On réalise alors une tomodensitométrie (TDM) abdominale avec injection de produit de contraste qui n'objective ni saignement ni fuite péripro-thétique et montre une infiltration périprothétique avec une discrète saillie antérieure à la partie haute de l'aorte en regard du troisième duodénum (Fig. 1).Le patient est alors transfusé de deux concentrés érythro-cytaires puis hospitalisé en service de médecine. Une endoscopie digestive est réalisée le lendemain afin de déterminer l'origine du saignement : ni la fibroscopie gastrique ni l'iléoscopie ne permettent de mettre en évidence des images suspectes de fistule. Toutefois, malgré l'absence de suffusion de produit de contraste, les chirurgiens vasculaires considè-rent suspecte la saillie duodénale au TDM, et décident de pratiquer une exploration chirurgicale. En peropératoire, on retrouve des signes d'infection avec présence de pus autour de la prothèse et une FAE au niveau de la face postérieure de la quatrième partie du duodénum. Le patient est ainsi traité chirurgicalement avec succès par une exérèse de tout le matériel prothétique et une allogreffe aortique. Les suites opératoires sont simples, et il quitte le service de chirurgie vasculaire 30 jours plus tard.
DiscussionLa FAE est une affection grave au pronostic catastrophique, décrite pour la première fois en 1953 [1]. Elle peut être primaire ou secondaire après une intervention chirurgicale aortique, et le diagnostic doit être évoqué systématiquement chez un patient porteur d'une prothèse aortique. Elle survient dans 0,4 à 1,6 % des cas après chirurgie aortique [2], et la localisation duodénale est la plus fréquente (60 à 80 % des ...