La relation à l'objet dans la clinique de la grande précarité : une approche transversaleNous essayons, depuis quelques années, de comprendre les processus d'exclusion liés à l'errance et à la migration à partir de l'expérience d'une équipe mobile d'intervention psychologique travaillant auprès des personnes immigrées vivant dans la grande précarité dans leur langue maternelle. Ce travail, qui fait suite à une recherche sur les conditions de figuration de situations extrêmes de vacillement identitaire chez des enfants ayant connu l'exil (Humphreys, Benhaïm, 2017), tient compte d'une double exclusionde langue et de cultureà laquelle s'ajoute souvent la dimension traumatique de la migration. Ce qui caractérise le trauma est son incapacité à faire représentation, le faisant demeurer hors psyché, tel un corps étranger qui fait effraction dans le système des représentations. Le trauma lié à la migration et aux effets inconscients et trans-générationnels provoqués par la dictature, la guerre ou la persécution ethnique, lorsque ces évènements n'ont pas été reconnus socialement, fait retour dans l'impossibilité de construire des liens. Cette précarité du lien entraîne à son tour une décomposition identitaire et une succession de violences internes (pulsionnelles) et externes (sociales), actualisées sous la forme d'une occupation particulière de l'espace (public/privé, intérieur/extérieur) par ces sujets (Piret, 2004). En tant que matériau informe et sans représentation, ces mises en scène dans l'espace public peuvent néanmoins faire socle aux processus originaires, donnant accès au fantasme dans l'élaboration des traductions successives du non-symbolique-non-représenté (Aulagnier, 1975). Le trauma de la grande précarité et de l'errance est double. C'est d'abord celui de l'éloignement du pays, d'une famille, qui s'actualise chaque jour dans la désocialisation. Mais c'est aussi un trauma vécu : la violence, la persécution ou la guerre qui est souvent à l'origine de leur départ (Douville, 2018). Le trauma constitue par ailleurs ici une sorte de double paradoxe, donnant accès au roc de la déliaison pulsionnelle, de l'anéantissement subjectif et de l'exclusion sociale seulement après un long parcours d'élaboration de liens fiables, d'une reconnaissance subjective, dans une langue maternelle actualisée icien Francedans un écart temporel qui rendrait possible son élaboration sous la forme d'un récit. Dans le développement de cette réflexion sur la grande précarité et l'errance, nous interrogerons cette clinique du traumatique à partir de la place que l'on donne à l'objet dans la construction de dispositifs cliniques. Nous pensons que l'élément traumatique est souvent lié à l'exclusion de la précarité. La précarité dont nous parlons ici doit néanmoins être entendue tantôt comme un symptôme, tantôt comme une manière de souligner un état de manque ; comme un « […] processus de fragilisation des manières d'être d'une vie à l'intérieur d'un ensemble de normes qui traditionnellement soutiennent les formes de vie 1 ». Ainsi, nous avon...