Ce travail a son origine dans la question posée du devenir des peuples traditionnels dans le contexte du changement culturel accéléré par les processus de modernité des sociétés occidentalisées et industrielles. L'étude présentée prolonge une longue recherche psychosociologique et ethnoclinique menée auprès de peuples arctiques: Inuit du Groenland, Esquimaux de Sibérie orientale et Tchouktches (expéditions scientifiques de Jean Malaurie de 1950 à nos jours). Elle a été réalisée auprès de tribus Adivasi du sud de l'Inde et doit se poursuivre chez des peuples nomades et semi-nomades d'Asie centrale. Le questionnement est double: Premièrement, le test de Rorschach est-il transférable Í d'autres cultures que celles, industrialisées et occidentalisées, où il a été inventé? Deuxièmement, le test de Rorschach en Système Intégré peut-il être questionné comme outil d'aide à la prédiction des processus comportementaux, cognitifs et affectifs de sujets confrontés à des situations de mouvances culturelles, sociales et économiques inattendues ou forcées? Le contenu de cet article est une réponse à ce questionnement. Les auteurs présentent les résultats obtenus au test de Rorschach de peuples traditionnels, tribus Adivasi du sud de l'Inde, soumis Í de profondes transformations de leur milieu environnant. Le contrôle exagéré des affects et l'attitude de distanciation, freinant l'expression ouverte et extériorisée de leur vécu personnel et relationnel, aboutissent Í une importante coartation affective et cognitive. Ce résultat a été interprété comme un signe de traumatisme psychique coûteux, comme une impossibilité à lutter face à une angoisse probablement envahissante qui témoigne de l'importance de l'impact de l'environnement: plus il y a de décalage et de déracinement avec le lieu d'origine, plus il y aurait des risques de défaillance identitaire. Mais cet état d'inhibition et de coartation des tribus permettrait aussi l'élaboration d'interrelations simplificatrices et constituerait une position d'a-conflictualité avec les Indiens non-tribus, groupe culturellement et économiquement dominant. En effet, les réponses qui s'expriment uniquement par la forme font cependant référence au réel, Í l'objectivité, ce qui serait un compromis adaptatif. Des études ont montré que l'activité fantasmatique est mobilisée par la perte et le traumatisme. Ce mode privilégié d'interaction avec l'autre, sans implication projective ni attraction sensorielle, est celui qui est utilisé par ces tribus. La situation traumatique ne semble pas pouvoir favoriser les capacités d'expression pulsionnelle ni les représentations fantasmatiques. L'auteur s'interroge également sur les aspects pathologiques des indices au Rorschach repérés dans les groupes précédemment étudiés, Inuit du Groenland, Esquimaux de Sibérie orientale et Tchouktches et particulièrement chez les tribus Adivasi de cette étude. Les données obtenues ont été envisagées comme une attitude défensive opérante et comme une nécessité de survie psychique identitaire et culturelle particulièrement nécessaires pour faire face à des circonstances déstabilisantes du nouveau milieu environnant. Ce qui pourrait alors découler de ces réflexions, c'est une conception du pathologique qui ne serait pas forcément symétrique ni applicable d'une culture à l'autre. Le pathologique pourrait avoir une autre signification que celle d'un indicateur de déviance ou de troubles divers. En conclusion, cette étude montre que l'utilisation du test de Rorschach en Système Intégré en interculturel est pertinente. L'interprétation doit cependant tenir compte des caractéristiques intrinsèques du fonctionnement psychique du sujet dans ses aptitudes Í transposer ses multiples registres perceptifs, cognitifs, imaginaires et symboliques selon les concepts théoriques de l'universalité du psychisme, dans un contexte à définir à chaque fois, et variant d'un type de culture Í l'autre selon les principes du culturalisme.