Citer cet article Mucchielli, L. (2004). L'impossible constitution d'une discipline criminologique en France : Cadres institutionnels, enjeux normatifs et développements de la recherche des années 1880 à nos jours. Criminologie, 37(1), 13-42. doi:10.7202/008716ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. criminologie, vol. 37 n o 1 14 1. Une formation initiale en histoire des sciences m'incite tout particulièrement à une telle approche (voir les considérations méthodologiques soutenues en particulier dans Mucchielli, 1998 : 8-20 et 525-535). Cependant, l'honnêteté me commande d'informer le lecteur du fait que mon activité s'oriente depuis plusieurs années, et de plus en plus intensément, vers la recherche sociologique en ce domaine, et que j'y occupe aussi des positions d'animation collective. Je suis désormais acteur autant qu'observateur de cette histoire, ce qui influence nécessai-rement ma façon de l'écrire, du moins pour la période contemporaine (donc la fin de ce texte).2. Afin de ne pas allonger démesurément la bibliographie, j'ai choisi de ne référencer de façon précise que la littérature secondaire et non l'ensemble des sources historiques mobilisées dans ce travail. À travers les références données dans le texte et les travaux cités en bibliographie, le lecteur pourra cependant aisément rechercher ces sources primaires.
I. Entre le biologique et le social : la recherche d'un paradigme du crime en France (1880-1940)En France, dans les années 1880, au moment où s'institutionnalise comme un peu partout en Occident une nouvelle discipline consacrée à l'étude du crime, les discours scientifiques sont, au départ, dominés par la problé-matique de la genèse individuelle du crime. Cette problématique trouve presque exclusivement des réponses biomédicales par le biais de théories prétendant identifier d'une manière ou d'une autre, chez certains individus, l'existence de prédispositions « naturelles » à l'agressivité, au crime ou même tout simplement au « Mal » (Pick, 1989 : 44 et suivantes ; Renneville, 1997 : 452 et suivantes ;Mucchielli, 2000a). La nouvelle discipline qui émerge en France n'est pas baptisée «criminologie» par ses promoteurs mais « anthropologie criminelle ». Certes, à l'instar de son principal artisan, Alexandre Lacassagne (1823-1924), professeur de médecine légale à la Faculté de médecine de Lyon, certains médecins français évoquent fréquemment les « facteurs sociaux du crime » et ils contesteront partiellement l'idée du criminel-né de Cesare Lombroso. Toutefois, proclamer un principe à la tribune d'un congrès international est une chose, le mettre en pratique dans ses recherches en est une autre. En réalité, le recours au social n'est pour ces médecins qu'un mot qu'autorise leur néo-lamarkisme, leur positivisme (au sens de la doctrine d'Auguste Comte) ou, plus rarement, leur socialisme 3 . Le mot leur sert surtout à se démarquer s...