Résumé Loin de se réduire à une contemplation amusée ou à des fantaisies verbales sur le déroulement des saisons, la dernière partie de Walden formule avec vigueur les grandes tensions caractéristiques de notre modernité, où l’aspiration à la connaissance scientifique, le désir d’exploitation économique et la recherche d’un plaisir esthétique ont atteint une intensité sans précédent. Thoreau cherche ici à saisir et à redéfinir le rapport de l’homme au monde au vu du triomphe de la modernité scientifique et économique. Il entendait ainsi engager ses lecteurs à réfléchir aux divers modes de relation de l’homme au monde matériel, afin d’inventer un nouvel équilibre, dans lequel une forme de révérence ou de respect ferait contrepoids au désir de domination. Sa mise en question de nos modes ordinaires de relation au monde invoque et étaye une conception du « sauvage » qui n’est pas strictement topographique (un monde à part) mais intellectuelle — une frontière mentale, au cœur de notre existence, conçue comme la nécessaire et fructueuse interrogation de ce que nous considérons comme proprement humain. Orchestrant son récit de manière à souligner sa mise à distance de deux modes ordinaires de « traduction » du réel (la connaissance scientifique et l’exploitation économique), Thoreau manifeste que son plaidoyer en faveur de la nature sauvage prend appui sur une préoccupation plus large pour le caractère intraduisible du réel.