La recherche qualitative ne se formule pas en nombres, fonctions ou tableaux. Avant tout elle se forme et s'exprime dans la texture et l'épaisseur de la langue. Elle est de part en part écriture, et en son coeur, la description est aussi affaire d'expressions et d'impressions, de mots, de formules et de compositions. Écrire et décrire le qualitatif demandent d'inventer une écriture propre, un travail de création tout comme l'artisan façonne son art ou l'acteur travaille sa présence et sa voix. L'écriture n'y est pas véhicule mais création de sens (MARTINET, 2006). La description, originalité et richesse de la méthode qualitative (DUMEZ, 2010), n'y est pas une collection de données mais immersion dans un monde. Et pourtant, paradoxalement, dans le monde académique, l'écriture est de plus en plus considérée comme seconde et secondaire. Seconde comme s'il existait une pensée pure, non encore contaminée par les mots, après laquelle l'écriture courrait toujours, tentant toujours imparfaitement de la restituer ou la reconstituer. Seconde aussi car elle interviendrait à la fin, une fois la recherche faite, compte-rendu ou rapport, pour communiquer ce qui a été auparavant conçu et réfléchi. Et secondaire, dévalorisée par ceux-là mêmes dont la valeur est évaluée sur leurs écrits. Et pourtant, second paradoxe, les chercheurs, qui ont fait de longues études, lu beaucoup de textes, qui font profession de manier la langue, s'obligent de plus en plus à utiliser un langage simplifié, raboté, formaté, s'interdisant toutes les possibilités de sens et d'effets-pressés qu'ils sont à produire des articles dans des revues sélectionnées. Dans une envahissante majorité la recherche se limite à une écriture de bois, impersonnelle et abstraite (DANE, 2011, SWORD, 2012, LAROCHE, 2017). La recherche qualitative a donné naissance à de magnifiques ouvrages, des textes de grands mérites académique et littéraire, mais l'écriture qualitative aurait de plus en plus de mal à s'immiscer dans les cadres contemporains. Elle a le désavantage comparatif de ne pas s'encapsuler dans un abstract ou un tableau de résultat (RICHARDSON, 2000). Elle demande du temps et de l'entraînement pour être composée et pour être lue. Alors souvent l'écriture s'appauvrit, nous perdons un savoir-faire qui se transmettait d'une génération à l'autre. Voici que trop souvent : « Nous cultivons et nous enseignons un style d'écriture du non-style qui valorise la métaphore limitée, la simplicité et une précision formelle, sinon mathématique. Une grande partie de notre écriture est nettoyée par une bonne douche de dite objectivité, puisque de nombreux auteurs (et lecteurs) du champ considèrent les plaisirs et formes artistes comme interférant avec la présentation de ce qui existe réellement dans un monde social donné. » (VAN MAANEN, 1995, p. 134) Nombreux sont ceux toutefois qui n'ont pas renoncé. Qui nous offrent des textes à l'écriture immersive, captivante, touchante, nuancée, non comme ornement mais comme intention, comme force poétique pour dire le complexe, le territoriali...