Depuis son implantation progressive dans le réseau de la santé et des services
sociaux, la Nouvelle gestion publique (NGP) a entrainé des modifications majeures dans les
conditions de pratique des travailleuses sociales. L’imprégnation d’une logique
gestionnaire, la standardisation des pratiques ainsi que le recours de plus en plus fréquent
aux données probantes et à l’intelligence artificielle pour baliser l’intervention ont
contribué à réduire l’autonomie professionnelle des travailleuses sociales. Dans ce cadre de
plus en plus contraignant, il devient difficile pour elles d’exercer des pratiques éthiques,
c’est-à-dire de déployer au quotidien une pensée critique et une réflexivité basées sur les
savoirs et valeurs du travail social, sur les normes déontologiques de la profession et sur
leur identité professionnelle. Elles ont également de moins en moins de marge de manoeuvre
pour déployer des interventions inclusives et différenciées auprès des personnes issues de
groupes minoritaires auprès desquelles elles sont appelées à agir. Les changements entrainés
par la NGP engendrent aussi chez les travailleuses sociales des conflits de loyauté, entre
les attentes de leurs gestionnaires et leurs valeurs professionnelles, ce qui a de nombreux
effets délétères : détresse psychologique, démobilisation, épuisement professionnel,
changement de carrière, etc. Si plusieurs recherches se sont intéressées à ces impacts des
réformes managériales, très peu se sont attardées aux stratégies déployées par les
travailleuses sociales dans leurs pratiques quotidiennes pour y faire face et pour assurer
un exercice éthique de leur profession. Cet article propose ainsi une analyse des
répercussions de la restructuration de l’État engendré par la NGP sur les conditions de
pratique du travail social, ainsi que des réponses émergentes introduites par les actrices
de terrain.