Cet article se penche sur la façon dont les incertitudes et la confusion liées au danger des pesticides pour la santé se construisent au quotidien chez les professionnel·les agricoles du canton de Vaud (Suisse). S’appuyant sur les études de la « fabrique de l’ignorance » (Counil & Henry, 2016 ; Dedieu, 2022), l’article propose d’étudier le rôle des agriculteur·rices dans le maintien de la confusion autour de la toxicité de ces produits. En mettant l’accent sur les savoirs expérientiels (Rabeharisoa et al., 2014), l’article présente deux dynamiques de production de l’ignorance opérant dans ce contexte. D’une part, nous examinons le rôle central des expériences corporelles et sensibles dans la création d’une « ignorance loop » (Durant, 2020), soit un cycle itératif de co-constitution de l'ignorance. D’autre part, nous nous demandons comment les pratiques quotidiennes de gestion des pesticides influencent les dynamiques de confiance et de méfiance à l’œuvre dans le rapport des agriculteur·rices aux autorités qui homologuent et régulent les pesticides, ainsi que dans leur rapport à la science. Cette analyse souligne l’importance de la dépendance des agriculteur·rices au système agro-alimentaire, ainsi que les effets délétères de la stigmatisation à laquelle cette profession est confrontée, comme deux éléments majeurs participant à entretenir la confusion et l’ignorance sur la dangerosité des pesticides.